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depuis, à en croire les relations d’Adlerbeth, s’était calmé : là comme en France et comme dans presque toute l’Europe il semblait que le siècle se corrigeât.


« Beaucoup de riche et illustre noblesse habite Florence, dit le narrateur suédois ; mais la cour donne l’exemple de la modération dans le luxe et les fêtes. Quelques maisons étrangères compensent cette retenue : le ministre d’Angleterre, sir Horace Mann, donne des soupers de quatre-vingts personnes, avec un luxe délicat et recherché. Il y a invité M. le comte de Haga et quelques-uns de nous. Un autre Anglais fort riche, lord Cowper, qui a été élevé au rang de prince d’empire et qui s’est fixé à Florence, rivalise avec lui. Il y a aussi deux Français de distinction dont les maisons sont brillantes et hospitalières : c’est le chevalier Des Tours, marié à une grande dame anglaise, et le comte d’Hautefort, qui, revenu de ses grands voyages en Orient, a choisi cette ville comme lieu de résidence temporaire et y a donné quelques conversations. On appelle de ce nom en Italie ce qu’en Suède nous appelons des assemblées. Une nombreuse société priée se réunit le soir, de sept à dix heures, pour jouer aux cartes et converser ; on distribue des glaces, des limonades, des oranges, des raisins ou d’autres bons fruits de ce pays. Beaucoup de chambres très éclairées, un nombreux et empressé domestique, des coureurs qui, avec des flambeaux de cire blanche, éclairent les hôtes à la montée et à la descente des escaliers, telles sont les manières de faire bonne figure. Je n’ai pas remarqué qu’il y eût de luxe particulier dans les vêtemens, si ce n’est que les fleurs de fabrication française sont fort recherchées pour la coiffure des femmes ; il en est de même pour les dentelles, les bijoux et les parures, qui viennent de Paris. — Les dames mariées de Florence sont entourées de cavaliers servans, usage qui semble être un reste de l’ancienne chevalerie. Le cavalier prend les ordres de la dame à sa toilette ; il lui donne la main et l’accompagne tout le jour, aux promenades, au spectacle, aux conversations. Cette sorte de liaison dépasse quelquefois, et quelquefois non, les limites du respect. Il arrive qu’un homme soit le cavalier servant d’une dame dont le mari est celui de sa femme. On change de cavaliers servans… »


Telle était cette société italienne du XVIIIe siècle où Gustave III retrouvait, avec quelques traits du génie national qui persistaient heureusement, l’uniformité de l’imitation, française. Il ne perdait cependant pas de vue le profit qu’il devait retirer de son voyage. Ses lettres écrites des bords de l’Arno le montrent visitant sans cesse la galerie du grand-duc, avec l’évidente ambition de mériter un jour, lui aussi, le renom de protecteur des beaux-arts ; mais d’autres desseins l’occupaient encore. Il allait rencontrer à Florence deux personnages importans dont il croyait utile de se rapprocher : c’étaient l’empereur et le fameux comte d’Albany. Sans espérer du premier le profit d’une alliance, il était bien aise qu’on le vît avec lui, qu’on publiât dans les gazettes leurs entrevues,