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comme on avait publié, quelque temps auparavant, sa propre entrevue avec Catherine II. De ces rumeurs, semées dans le montrer diplomatique à l’opinion qu’il pourrait être, en de subites et graves circonstances, l’allié de l’empire comme celui de la Russie, Gustave III, estimait qu’il n’y avait pas loin. Ajoutez le désir de montrer ses talens et ses grâces personnelles, le désir qui ne le quittait jamais et qui ne se séparait pas de quelque pensée de rivalité vaine. ― Joseph II voyageait lui aussi, incognito, sous le nom de comte de Falkenstein. Accompagné de son frère le grand-duc de Toscane, il fit la première visite au comte de Haga. C’était entre neuf et dix heures du matin ; Gustave III, encore au lit, n’eut que le temps, de passer une robe de chambre, mais ne négligea cependant pas de mettre son grand cordon de l’Étoile polaire par-dessus, et reçut de la sorte ses hauts visiteurs étonnés. En ville, Gustave III affecta de se joindre à Joseph II, de se montrer en même temps aux cérémonies religieuses, aux théâtres, aux galeries, aux réunions. Après chaque entrevue qu’il obtenait, il se hâtait d’écrire à Stockholm pour qu’on insérât dans la gazette officielle une nouvelle si importante. « Pour ceux qui connaissent le fond des choses, ajoutait-il un jour, cela n’a pas de conséquence ; aux yeux de notre public, il en est autrement. » La rencontre des deux souverains ne contribua cependant point à les rapprocher ; loin de là, Gustave et Joseph ressentirent l’un pour l’autre une visible antipathie. Gustave se moquait de la dévotion extérieure de Joseph, qui, parfaitement sceptique, assurait-il, courait les églises pour obtenir des indulgences, et l’empereur, de retour à Vienne, fit représenter un opéra où l’on voyait un héros ridicule paraître en robe de chambre avec le grand cordon suédois. « Le roi de Suède, écrivait-il dédaigneusement à sa sœur Marie-Christine, est une espèce qui ne m’est point homogène ; faux, petit, misérable, un petit maître à la glace, Il passera par la France, et, si vous le voyez, je vous le recommande d’avance[1]. »

Les malheurs du comte d’Albany semblaient offrir à Gustave III une occasion plus propice de se mêler à la politique de plusieurs grandes cours européennes. On sait toutes les aventures du malheureux prétendant. Lui-même les racontant sans cesse et continuant à implorer de tous côtés des secours, empêchait qu’on ne les oubliât[2], non pas qu’il eût entièrement conservé tous ses rêves ambitieux : s’il se refusait à aliéner le gros rubis de la couronne d’Ecosse en disant qu’il devait en faire la restitution quand il recouvrerait le trône, il déclarait aussi que dorénavant, pour le décider

  1. Louis XVI, Marie-Antoinette, etc., par M. Feuillet de Couches, tome III, p. 81.
  2. Les lecteurs de la Revue ont encore présente au souvenir la série publiée par M. Saint-René Taillandier sur la comtesse d’Albany (15 janvier, 1er et 15 février 1861.