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d’Atlanta est le héros du jour, aurait, dit-on, manifesté le dessein d’appuyer son ancien compagnon d’armes. On en a dit autant du général Grant à l’heure même où il écrivait une lettre publique pour se plaindre de la division politique du nord et de l’assistance secrète donnée par les démocrates aux rebelles. A la nouvelle du choix de Mac-Clellan, une longue acclamation aurait retenti tout le long de l’armée du Potomac. Les républicains prétendent que l’acclamation venait des lignes ennemies, car les armées n’ont pas coutume de se mettre du parti de la paix.

Saint-Louis, 12 septembre.

Je m’aperçois que j’approche du foyer de la guerre : l’atmosphère change autour de moi. Le Missouri est presque un état rebelle et un pays conquis ; les fédéraux ne s’y sont maintenus que par l’état de siège : aujourd’hui même on ne sait ce qui adviendrait s’ils retiraient leurs troupes. Les querelles de partis y sont envenimées par des haines sociales : on n’y discute pas seulement la paix ou la guerre, l’honneur ou l’humiliation nationale, mais la question cent fois plus brûlante de l’esclavage et de l’abolition. Ce n’est plus une discussion théorique, ni une rivalité d’influence, c’est une guerre d’intérêt privé entre deux classes inconciliables. L’ancienne population franco-anglaise, attachée aux institutions du sud, nourrit pour l’esclavage une sorte de superstition et de préjugé farouche. Vaincue, mais sourdement exaspérée, elle a la colère implacable des causes perdues. Elle ne prétend plus ressusciter ni l’esclavage, ni sa fortune passée : elle courbe la tête sous les conséquences anticipées et irréparables de l’abolition ; mais elle semble attendre en silence l’occasion de se venger.

La nouvelle population allemande est passionnée pour l’abolition. Elle apporte dans le Nouveau-Monde, avec les instincts de la démocratie européenne, ses procédés radicaux et ses doctrines absolues. Peu lui importent les préjugés séculaires et les lois surannées. Elle n’a point étudié l’histoire, elle ne sait rien du respect qu’on doit aux injustices immémoriales ; mais elle a au plus haut degré ce sens moral des principes qui manque un peu à la démocratie américaine. Ce n’est pas elle qui s’effraie d’une révolution : pour détruire une institution barbare, elle met, s’il le faut, la hache aux fondemens de la société. Son intérêt d’ailleurs s’unit à ses principes. Quand même ses opinions plébéiennes, son sentiment inné de justice, ne la soulèveraient pas contre l’esclavage, elle le détesterait encore comme un obstacle à sa fortune et un concurrent déloyal à son industrie.

L’émigrant arrive pauvre et vit de son travail. Nouveau venu,