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où l’amour sincère, la tendresse mutuelle des jeunes gens, étaient seuls consultés, où on laissait un libre essor à des sentimens spontanés, où ils germaient et grandissaient sous l’influence alterne de l’absence et de la réunion, de la sécheresse et de la rosée, où l’intervention prématurée des parens ne hâtait pas l’éclosion du secret encore enfoui dans les ténèbres d’une jeune âme. Ce secret, mûr enfin, tombait de lui-même dans le sein maternel. Et si par hasard les conditions d’un hymen raisonnable n’étaient pas remplies, si le jeune fiancé riche d’amour n’avait pas les ressources indispensables à un chef de famille,…


« Il n’était pas exilé pour cela par un sort vénal. — L’enfant pouvait travailler, la jeune fille pouvait attendre. — Mêlé aux plus sérieux intérêts de la vie, — l’amour sanctifiait la lutte et allégeait le travail. — Plus de dangers qu’on ne brave, plus de rigueurs qu’on n’endure, — quand on a devant soi la promesse d’un si beau guerdon ! — Celle que j’aime sera mienne, et, ceci dit bravement, — le plus triste labeur devenait œuvre divine, — aussi longtemps qu’on se savait en elle un appui dévoué… »


Les progrès de la morale ont changé tout ceci et prescrivent la surveillance la plus stricte. Plus de paroles échangées à voix basse, plus de pitié pour les muettes confidences du regard. Le joli tournoi des préliminaires amoureux ne doit rien avoir de caché pour les juges du camp. La flânerie à deux au sein des vertes prairies, les promenades crépusculaires, ne se prêtent plus, comme jadis, au mutuel épanchement des jeunes cœurs.


« Après deux bals, trois dîners, une exhibition florale : — Expliquez-vous, monsieur, que penser de vos intentions ? On ne joue pas avec le cœur de ma fille. — En effet j’espérais,… bien qu’à vrai dire ma position présente… — Un instant ! dois-je croire que vous êtes endetté ?… Dans ce cas, avouez que vous élevez une singulière prétention. — Le soupirant éconduit se console de son mieux. — Et la jeune fille ? Elle épouse un capital doublé d’un homme. »


A vrai dire, — et nous aurons occasion de nous en convaincre, — c’est là le principal grief du poète contre notre état social. Le cœur et la dot constituent l’antithèse de tous ses récits. Blanche Darley, la douce et candide enfant vers qui volent tous les cœurs, et dont on se dispute les chastes sourires, brille à peine un moment sur l’horizon. On vient de la saluer reine, et la rumeur de son premier triomphe n’est pas encore apaisée que Vaux ne craint pas d’aspirer à elle.


« Qui, Vaux ? ce blême familier des lieux infâmes ! — Vaux, ce débris éclopé, courbé, chancelant, paralytique, — comte de droit, homme seulement par courtoisie ; — ce faux soldat tout couvert de cicatrices, — dont pas une seule ne vient des champs de bataille ! »