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et le talent ont droit à beaucoup d’égards. Nous ne saurions cependant lui dissimuler ce qu’il y a de tristement suranné dans sa façon de comprendre la polémique littéraire. Les injures, les invectives personnelles, rimées à loisir par un homme de sang-froid, ne se comprennent plus aujourd’hui. Et ce n’est pas d’hier qu’elles ont porté malheur à quiconque s’en est voulu servir. Regnard conspuant Boileau, Voltaire lui-même quand il entre en lice contre Fréron, Nonotte et Desfontaines, rappellent malheureusement Trissotin et Vadius. Churchill est plus odieux encore quand il insulte à la vieillesse d’Hogarth, et c’est tout au plus si les rigueurs, les persécutions d’une mère dénaturée ont justifié Richard Savage d’avoir invoqué contre elle le secours des muses vengeresses. Qui saura comprendre leur haute mission ne les abaissera jamais jusqu’à l’insulte, et on se rend coupable d’un crime de lèse-poésie quand on abuse de ce don sacré pour dégrader dans la personne même de l’écrivain, — fût-ce du plus humble et du moins méritant, — la classe à laquelle il appartient, la noble profession qu’il exerce. Ces vérités-là, devenues banales et gagnant chaque jour du terrain, ont exclu de la critique permise tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une diffamation privée. Avec son goût si sûr, sa mesure si parfaite, Boileau, que nous nommions tout à l’heure, ne se permettrait pas de nos jours certaines allusions blessantes qui étaient encore de mise à son époque. Nous le verrions, supprimer, non sans quelque regret d’avoir pu les écrire, les traits décochés à ce malheureux Colletet, qui,

…….. crotté jusqu’à l’échine,
Va mendier son pain de cuisine en cuisine.

Aussi regretterons-nous de les voir paraphrasés avec une malencontreuse insistance dans la satire adressée aux censeurs qui s’étaient permis de traiter légèrement les débuts de M. Austin. Comme ce dernier a pris soin de réimprimer en note les passages qui l’avaient particulièrement choqué, nous pouvons mesurer exactement la défense à l’attaque, et dire en toute sûreté de conscience que celle-ci ne justifiait en aucune façon une riposte, pareille. Les deux aristarques, — plus ou moins compétens, plus ou moins équitables, — que le poète prit spécialement à partie n’avaient aucunement empiété au-delà de leurs attributions, et ne s’étaient occupés que de l’ouvrage soumis au public, non de l’auteur, de sa vie ou de sa personne, qui étaient restées, comme cela se devait, en dehors du débat. Où donc le satirist puisait-il le droit de reprocher à l’un ses humbles débuts derrière un comptoir, à l’autre les lacunes de son éducation, à tous deux le singulier tort d’écrire