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l’imprudente mère, et Hubert lui-même ne la démentirait pas, tant il se trouve indifférent à la nouvelle qu’on lui notifie. Ce n’est la pourtant qu’une illusion, et quand il reverra, seul avec Mary, ce lac dont tant de fois ils ont suivi les marges humides, lorsque, debout auprès d’elle et laissant tomber un regard sur ce visage qu’elle cherche à lui dérober, il y surprendra des larmes involontaires, adieu ce sang-froid superbe, cette indifférence impassible dont il se targuait si consciencieusement ! Une grotte est près de là, — qui rappelle un peu celle de Didon, — mais d’où Mary sortira moins coupable que la reine de Carthage, grâce aux scrupules découragés du rival de sir Gilbert. Pauvre comme il l’est, le bonheur de la jeune fille qu’il associerait à son sort courrait, en vérité, trop de risques. Il renonce donc à elle, précisément parce qu’il l’aime, et Mary elle-même, redoutant d’enchaîner, de limiter l’avenir qu’elle croit ouvert devant lui, l’encourage à ce sacrifice. Un dernier baiser, un adieu frémissant, et que prolongent toute sorte d’innocens subterfuges, l’octroi d’un gage d’amour que la pâle fiancée détache de sa poitrine, et que le jeune stoïque fixe pour jamais sur son cœur, — après le départ de celui-ci quelques lettres passionnées que les parens interceptent au passage, des vers d’amour qu’Hubert adresse à son amie, et qu’il veut posséder copiés de sa main, terminent le premier chant du poème, et la toile tombe au moment où les nouveaux mariés montent ensemble dans la chaise de poste traditionnelle.

Peut-être nos lectrices seront-elles scandalisées d’apprendre qu’Hubert, loin de s’abîmer dans un désespoir stérile, cherche très naturellement à se consoler. Le poète ne nous dit pas en termes exprès de quelle façon, mais il le laisse très suffisamment deviner, et fustige de main de maître les utilitaires qui voudraient voir le jeune homme pauvre demander au travail l’oubli de ses déceptions amoureuses.

We are not, please you, sir, all beasts of burden,


Les natures d’élite ne savent point obéir aux lois qui régissent la vulgaire multitude. Pour se soustraire à de douloureux souvenirs, elles s’abandonnent tout simplement à l’inconstance de leurs penchans. C’est leur droit, leur privilège spécial, que les « bêtes de somme » dont parle le poète seraient mal venues à revendiquer ; reste à savoir si celles-ci ne sont pas plus vite et plus sûrement consolées. On le croirait en voyant Hubert, exilé par l’ennui, porter ses pénates en Italie et se fixer provisoirement au cœur de cette Florence que le poète chantait naguère sur un mode lyrique. Il ne