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part cependant qu’après avoir cherché près de lady Gilbert une explication suprême, d’abord embarrassée et suivie de nouvelles effusions plus passionnées que jamais. Heureusement la jeune femme, puisant quelque force dans sa faiblesse même, est encore sortie saine et sauve de cette épreuve nouvelle.

Florence pourtant a beau être la cité par excellence, un paradis à bon marché, peuplé de bonnes âmes hospitalières et paisibles, de souvenirs puissans qui calment et fortifient : la patrie de Dante et de Galilée, de Michel-Ange et de Savonarole, ne parvient pas à combler le vide qui s’est fait dans le cœur d’Hubert. Un vague besoin d’action tourmente cette organisation condamnée au repos. Ni la contemplation des chefs-d’œuvre de l’art, ni les enivrantes soirées de la Pergola, ni les douceurs proverbiales de la familiarité toscane, n’ont plus assez de prise sur elle, et le clairon qui annonce les débuts de la guerre de l’indépendance la fait au contraire tressaillir de joie. Hubert, sollicité à une vie nouvelle, va revêtir l’uniforme et saisir une épée, lorsqu’au milieu de ses préoccupations guerrières son passé se dresse tout à coup devant lui. Le bras de lady Gilbert s’est posé sur le sien. Seule auprès de son mari mourant, n’ayant pour combattre les progrès de la fièvre des maremmes que l’assistance de quelques mercenaires étrangers, elle croit pouvoir faire appel à la généreuse affection dont Hubert lui a donné tant de preuves. Après quelques hésitations, il la suit en effet au chevet du malade, et tous deux, par un bel assaut de dévouement, le disputent avec succès à la mort. Grâce à leurs soins, sir Gilbert, ressuscité, se ranime par degrés. Un jour, laissé seul, il se sent la force de quitter sa couche brûlante. Il aspire avec bonheur les premières bouffées de la brise printanière, il emplit ses oreilles du gazouillement des oiseaux, du bourdonnement des abeilles et du bruit des eaux lointaines ; puis, d’un pas encore débile, étayant aux murs sa marche vacillante, il se traîne dans l’appartement silencieux, et, venant à pousser une porte entr’ouverte devant lui, se trouve en face d’Hubert et de Mary,… profondément endormis dans les bras l’un de l’autre.

Au cri qui sort de ses lèvres tremblantes, Hubert se réveille seul, et reçoit, le front baissé, l’impuissant anathème que lui jette l’homme dont il a sauvé la vie, mais dont il n’a pas respecté les droits et l’honneur. Quant à Mary, elle n’a pas même rouvert les yeux. Comme un luth trop tendu dont le plus léger choc doit briser les cordes, le cri de son mari a suffi pour la foudroyer sur place et la transporter dans le « ténébreux au-delà. » Sans que le baronnet y mette obstacle, Hubert escorte jusqu’au cimetière la pauvre femme que son amour a tuée. Sir Gilbert le reçoit ensuite avec