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nous allions plus loin, que nous demandions que ces remontrances fussent appuyées au besoin par la guerre, et, retombant dans le cercle vicieux où, ont échoué à cette occasion les diplomaties de France et d’Angleterre, il déclare que la guerre n’eût point été justifiable. Nous ne voulions assurément pas plus la guerre l’an dernier que nous ne la voulons aujourd’hui ; nous sommes convaincus qu’une entente cordiale entre la France et l’Angleterre, fermement et notoirement établie, eût suffi, à la fin de 1863 et au commencement de 1864, pour prévenir les iniquités qui ont été commises à propos des duchés, et cela sans guerre, et en détournant du Danemark l’agression disproportionnée que ce petit pays a eu à subir. Si la France et l’Angleterre se fussent alors sérieusement entendues, on n’eut pas prononcé le mot de guerre, et ni à Berlin ni à Vienne on ne se fût exposé à mettre l’Angleterre et la France réunies en demeure de se prononcer sur le redoutable dilemme de la paix ou de la guerre. Ce serait manquer de justice et de respect envers ceux avec qui l’on traite que de leur dire d’avance qu’en tout cas on est résolu à faire prévaloir sa volonté par les armes ; c’est également manquer de respect envers soi-même que de déclarer au début d’une négociation qu’en aucun cas on ne se battra. Dans les transactions entre gouvernemens où sont impliqués des principes de droit public et des intérêts d’équilibre, il faut que le dilemme de la paix ou de la guerre demeure sous-entendu jusqu’à la fin : ce sous-entendu couvre à la fois la prudence et la dignité des négociateurs, et constitue la sanction même de la négociation. Cette règle de circonspection et de décence politique, cette loi du savoir-vivre international a été malheureusement méconnue par les deux puissances occidentales dans les affaires de Pologne et de Danemark. Le gouvernement anglais a commis la faute de s’engager dans la discussion des affaires de Pologne en déclarant à tout moment qu’il ne tirerait point l’épée ; le gouvernement français, trop sensible aux procédés de lord Russell dans la question polonaise, n’a peut-être point assez ménagé le sous-entendu de la paix et de la guerre dans les origines de la question danoise. On s’est égaré et affaibli mutuellement par de piteuses restrictions, par de sottes et vilaines réserves qui nous ont conduits à la démoralisation politique actuelle, et le vaillant M. de Bismark a compris que l’heure était venue où il pouvait, d’un air espiègle et sans péril, tirer la moustache à l’Occident.

Les Anglais peuvent plus patiemment que nous prendre leur parti de ces déconvenues. Ils ne sont point continentaux, eux. Ils ne sont point exposés à voir se condenser sur leurs flancs des masses de forces organisées qui pourraient entraver leurs mouvemens naturels, contrarier leur légitime développement. Ils n’ont point de voisins de frontière qui puissent devenir ou les adversaires de leur grandeur nationale ou même les ennemis de leurs institutions politiques intérieures. Ils n’ont point de précautions à prendre contre un changement dans la proportion des forces sur le conti-