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bien ! toutes ces fautes disparaissent grâce au jeu de l’acteur qui tient le rôle de Damis. La Métromanie ou le Poète, disait en 1738 l’affiche du Théâtre-Français ; la Métromanie est presque entièrement effacée dans l’exécution présente, et c’est le Poète seul qui reste. Qu’il est aimable en son étourderie ! quelle foi dans son art ! quel amour de la gloire ! et comme les ardeurs de son esprit profitent à la générosité de son âme !

Nous signalerons à ce propos un incident qui caractérise les dispositions du public d’aujourd’hui vis-à-vis de ce succès d’autrefois. Lorsque M. Baliveau, voulant détourner Damis de la poésie, lui recommande en nobles termes la profession d’avocat, le public éclata en applaudissemens, songeant sans doute au barreau de nos jours, à tant de voix libérales qui honorent la tribune. Aussi la réponse de Damis, quoique lancée avec entrain, fut-elle d’abord assez froidement accueille ; on résistait pour ainsi dire à la plaidoirie du rêveur, on ne lui permettait pas de mettre le poète au-dessus de l’avocat et d’affirmer qu’à nos yeux Scarron même l’emporte sur Patru. Mais quand l’acteur, piqué au jeu, redoubla d’enthousiasme, et d’une voix frémissante jeta ces vers célèbres :

Qu’on me laisse à mon gré, n’aspirant qu’à la gloire,
Des titres du Parnasse ennoblir ma mémoire,
Et primer dans un art plus au-dessus du droit,
Plus grave, plus sensé, plus noble qu’on ne croit !
Le vice impunément, dans le siècle où nous sommes,
Foule aux pieds la vertu, si précieuse aux hommes.
Est-il pour un esprit solide et généreux
Une cause plus belle à plaider devant eux ?
Que la fortune donc me soit mère ou marâtre,
C’en est fait : pour barreau, je choisis le théâtre ;
Pour client, la vertu ; pour loi, la vérité,
Et pour juge, mon siècle et la postérité,


il y eut alors de toutes parts une explosion redoublée de bravos. L’image du poète venait d’apparaître enfin, non pas du poète entrevu par Piron, mais du poète, ou plutôt de la poésie idéale et virile dont notre siècle a entendu quelques accens il y a une trentaine d’années. C’est ainsi que le passé parle au présent pour lui reprocher ses défaillances et préparer les revanches de l’avenir.


SAINT-RENE TAILLANDIER.


V. DE MARS.