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viendrait, si on la plaçait sur un simple piédestal, cette figure connue sous le nom du Zuccone (le Chauve) que Donatello a logée dans une des niches les plus élevées du Campanile de Florence ? Tout ce qui, aperçu à travers l’atmosphère et la distance, n’a qu’un juste relief et une fermeté sans violence prendrait, vu de près, les caractères de l’exagération et du mensonge. Exhaussez au contraire de quelques mètres le saint George qui orne un des murs d’Or-san-Michele, les finesses de l’exécution que l’œil apprécie sans effort aujourd’hui disparaîtront ou se changeront en pauvretés, en minuties au moins inutiles, tant dans les deux ouvrages les rapports sont étroits et les proportions rigoureusement observées entre les formes préalables du travail et le milieu qui achèvera d’en préciser ou qui en modifiera l’aspect. Dira-t-on que plus d’un monument grec ou romain atteste des calculs analogues, et qu’en ceci comme en bien d’autres choses l’art florentin ne faisait que profiter ingénieusement des enseignemens de l’antiquité ? En tout cas, jusqu’à l’époque de Donatello, la leçon à cet égard n’avait été qu’incomplètement féconde, la persistance de certaines traditions léguées par le moyen âge en avait presque supprimé les souvenirs, et, si simples que nous paraissent aujourd’hui de pareilles coutumes, encore faut-il savoir gré de son discernement et de sa hardiesse à celui qui dans les temps modernes les a le premier remises en honneur.

Il semble au surplus que Donatello lui-même ait attaché une importance particulière aux exemples qu’il venait de donner en ce sens, si l’on en juge par sa prédilection constante pour le Zuccone, — celle de toutes ses statues en effet où il a le plus énergiquement accentué la vie et le plus habilement combiné les moyens matériels de la figurer. On sait qu’au moment où les maçons installaient son œuvre sur une des faces du Campanile, il l’interpellait et la sommait de parler. Favella, favella ! s’écriait-il, comme s’il subissait à son tour l’illusion qu’il avait voulu produire. Plus tard, c’était encore cet ouvrage qu’il invoquait, qu’il prenait à témoin de sa sincérité, là même où ni l’art ni son propre talent ne se trouvaient en cause, et lorsqu’il s’agissait simplement d’une opinion à émettre ou d’un argument familier à présenter : « Par la foi que j’ai dans mon Zuccone, » disait fièrement le maître, à bien meilleur droit d’ailleurs que Benvenuto Cellini ne devait jurer dans le siècle suivant « par l’admiration universelle » attachée, selon lui, à son Persée. Que l’on ne se hâte pourtant pas de tirer du fait une conclusion défavorable au caractère et aux habitudes morales de Donatello. Jamais au contraire l’orgueil légitime d’un grand artiste ne se compliqua moins que chez lui des arrière-pensées de l’intrigue ou des petitesses de la vanité ; jamais chef d’école ne s’efforça plus