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naturellement, plus simplement, d’élever jusqu’à lui ses inférieurs, de se préparer des rivaux dans ses élèves, de venir en aide même à ses plus dangereux émules. Veut-on des preuves de ce désintéressement, on les trouvera dans la part anonyme que Donatello prit aux premiers travaux de Ghiberti, et, — abnégation plus difficile peut-être, — dans l’amitié qu’il ne cessa d’avoir pour celui-ci, pour Brunelleschi, pour Michelozzo, après que le succès fut venu récompenser leurs œuvres et détourner sur leurs noms quelque chose de la popularité due au sien.

Quant au désintéressement de Donatello dans les questions d’argent, les témoignages qu’en rapporte Vasari sont tout aussi peu équivoques. Le moyen de soupçonner d’avarice un bomme qui, sans autre coffre-fort qu’un panier suspendu par une corde au plafond de son atelier, y déposait, à mesure qu’il lui venait, le salaire de chaque travail, laissant d’ailleurs à ses aides le soin d’y prendre ce qu’ils jugeraient convenable pour se payer de leurs peines, et à ses amis la liberté d’y puiser en proportion de leurs besoins ou de leurs fantaisies ? Dans sa vieillesse toutefois, Donatello connut un moment les soucis des affaires et les embarras de la propriété. Jean de Médicis, exécutant en cela l’une des dernières volontés de son père, avait fait don au sculpteur d’un petit bien de campagne dont le revenu devait pourvoir aux nécessités de cette vie qui avait pu jusqu’alors s’alimenter tant bien que mal, mais que l’âge et les infirmités menaçaient maintenant de rendre plus difficile. D’abord tout alla au mieux. Donatello, en possession des premiers termes du fermage, trouvait dans sa fortune nouvelle la sécurité du travail ; mais survinrent les orages qui compromirent la récolte, les maladies du bétail et les doléances du fermier : il fallut compter et se réduire pour faire face aux exigences de la situation. Tant de soins dégoûtèrent Donatello de la richesse, et il n’aspira plus qu’à en déposer le fardeau. Une année à peine s’était écoulée depuis le jour où la munificence de Jean de Médicis avait fait de lui un propriétaire, qu’il reportait à son bienfaiteur l’acte de donation, afin de recouvrer le repos, comme à une autre époque il refusait certains habits assez modestes que Côme lui avait envoyés, « de peur, dit un historien[1], de paraître à ses propres yeux délicat et efféminé. »

Nous nous représentons assez malaisément aujourd’hui cette bonhomie dans les mœurs du talent, cette extrême simplicité dans la vie, dont les biographies des artistes florentins au XVe siècle nous ont cependant conservé tant de traits. On ne se figure guère Donatello interrompant l’exécution d’un de ses ouvrages pour aller au marché acheter les provisions dont dépend son dîner, et les

  1. Vespasiano da Bisticci, Vita di Cosimo il Vecchio.