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tombeaux de la Badia et de San-Miniato, les sculpteurs toscans se montrent les disciples zélés de l’art antique. Ils travaillent sans relâche à s’en approprier l’éloquente concision, à en emprunter les procédés, à en posséder la grammaire ; mais le désir ou la volonté de l’imitation ne va pas chez eux au-delà de cette ambition scientifique. Les inspirations de la pensée n’en sont pas plus compromises que les droits du vrai ne subissent pour cela quelque atteinte, et, là même où le parti-pris archaïque semble le plus formel, le naturel perce sous ces apparences systématiques, la sève originale et personnelle vient vivifier en la renouvelant cette tradition des anciens âges. L’art florentin accommode à ses inclinations les leçons de l’antiquité. Il les pratique savamment, mais avec une science ingénue, avec une docilité sans danger pour les franchises du génie national ; il garde jusque dans l’érudition ses instincts et ses habitudes, comme, en parlant un idiome étranger, on conserve les tours et l’accent de la langue maternelle. Les artistes modernes malheureusement semblent se défier à l’excès de ces salutaires infidélités à la lettre. Beaucoup d’entre eux oublient trop que la sculpture n’est pas simplement une exilée de la Grèce et de Rome à laquelle il faut rendre, bon gré mal gré, toutes les illusions de la patrie absente, une rareté exotique transplantée dans notre sol, où elle ne pourra vivre que d’une vie factice. Au lieu, de s’évertuer à naturaliser parmi nous les simulacres matériels de l’art païen, à transcrire les formes d’une mythologie muette et à galvaniser ce qui n’est plus, que ne travaillent-ils, comme autrefois les Florentins, à prendre à leur compte ce qui de cet art n’a pas péri et ne saurait périr ? Que ne s’aident-ils de l’antiquité, à l’exemple de l’illustre chef de notre école de peinture, pour achever de comprendre, pour commenter la nature qu’ils ont devant les yeux, et non pour subordonner absolument celle-ci, pour en sacrifier l’étude sincère à la recherche d’une correction banale, d’une beauté sans âme, d’un style de convention et de seconde main ? Si ce retour aux principes qui ont dirigé jadis l’école florentine et plus récemment notre brillante école du XVIe siècle, si ce mouvement deux fois fécond venait à s’opérer de nouveau, tout le monde et toutes choses y gagneraient : le talent, puisqu’il ne se dépenserait plus dans des entreprises en dehors de nos besoins et de nos mœurs, — le public, qui se désaccoutumerait ainsi de ne voir dans la sculpture qu’une formule archéologique, — enfin l’art antique lui-même, parce que, loin de servir de couverture ou de laisser-passer à l’esprit de routine, il reprendrait sur le progrès l’influence généreuse qui lui appartient, et auprès de quiconque aspire à exprimer l’idéal l’autorité sans tyrannie de ses conseils.


HENRI DELABORDE.