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et que sous ces princes nuls ou débauchés régnèrent des femmes fort distinguées.

La première de toutes, Julia Domna, femme de Septime Sévère, était fille d’un prêtre du soleil d’Émèse ou Émath en Cœlésyrie. Son mari l’avait choisie, avant même son arrivée au trône, en vertu d’un oracle qui, dès son enfance, lui avait prédit qu’elle serait reine. Julia Domna était assez belle pour que cette prédiction à plusieurs sens s’accomplît de manière ou d’autre, et il est à présumer que sa beauté et son esprit ne touchèrent pas moins que ce galant oracle le cœur de l’austère général. Une fois impératrice, elle s’entoura d’un cercle de beaux esprits et de rhéteurs dont firent partie Dion Cassius l’historien, les jurisconsultes Paul, Ulpien, Papinien, et le biographe d’Apollonius, Philostrate. L’influence dont elle jouit auprès de son mari dut être considérable, car le favori de Sévère, Plautien, ne cessa de lui faire une opposition systématique, et fut à la fin le vaincu de ce duel à mort. C’est peut-être à ses calomnies intéressées qu’il faut attribuer les rumeurs fâcheuses qui circulèrent sur les mœurs de Julia Domna. Son mari n’était pas homme à fermer les yeux sur un tel genre d’écarts, surtout s’il est vrai qu’à l’infidélité conjugale elle joignît la trahison politique. Cette réputation de mauvaises mœurs s’accrut encore sous le règne de son fils Caracalla, dont, selon plusieurs historiens, elle était seulement la belle-mère, son mari l’ayant eu d’un premier mariage. Ces historiens veulent même que ses charmes, admirablement conservés, aient séduit ce rustre couronné, qui se serait uni à elle par un mariage incestueux. De là le surnom de Jocaste, qui lui fut donné par ses ennemis. Bayle a signalé l’invraisemblance de cette allégation en s’appuyant sur le silence de deux historiens contemporains, Dion Cassius et Hérodien, peu indulgens l’un et l’autre pour la famille de Sévère, et qui désignent Julia comme la mère de Caracalla sans dire un mot qui puisse la faire soupçonner d’une pareille turpitude. Il faut donc n’y voir qu’une calomnie de ses adversaires. Elle mourut quelques jours après Caracalla ; mais elle avait gardé longtemps près d’elle sa sœur, Julia Mœsa, femme de tête aussi et ambitieuse. C’est elle qui fit sortir du temple du soleil le petit Héliogabale et le présenta aux troupes en leur disant que sa fille Julia Soémis l’avait eu clandestinement de Caracalla. Victorieuse de Macrin, elle régna de fait avec sa fille pendant qu’Héliogabale, son petit-fils, scandalisait Rome par ses mœurs de hiérodule et son fanatisme solaire. C’est sans doute à leur instigation que ce triste empereur, qui avait contraint le sénat à donner droit de séance à sa mère, institua un sénat de femmes qui rendit gravement des sénatus-consultes sur les vêtemens, la préséance, le droit