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s’était arrêté à Tyane, il y avait été malade, sa guérison pouvait bien s’être rattachée d’une manière quelconque à l’invocation du génie guérisseur de l’endroit. Ses soldats avaient rapporté de leurs expéditions lointaines de vagues données touchant les royaumes de la Perse et des Indes, sur lesquelles l’amour du merveilleux avait ensuite brodé tout à l’aise. Il y a dans les récits indiens de Philostrate un singulier mélange de réalité et de fantaisie. Sévère lui-même en était venu à partager les récréations philosophiques et littéraires de sa femme. Il semble que, se faisant peu d’illusions sur l’avenir des institutions impériales et même de toute la culture gréco-romaine, il ait vu sans déplaisir des élémens étrangers s’introduire dans la vie morale de ses contemporains. Ce qui est certain aujourd’hui et démontré contre quelques apparences contraires, c’est qu’il adoucit les peines portées contre les Juifs et les chrétiens, et que, s’il leur interdit le prosélytisme, les persécutions locales qui sévirent sous son règne ne doivent pas être imputées à sa volonté personnelle. Proculus, son esclave favori, était chrétien, la nourrice de Caracalla était chrétienne, et sous le règne de celui-ci, pendant lequel l’influence de Julia Domna fut toute-puissante, l’église chrétienne jouit à peu près partout d’une tranquillité parfaite. Il en fut de même sous Héliogabale, qui pourtant avait des opinions religieuses fort arrêtées ; mais nous savons que pendant son règne sa grand’mère Mœsa et sa mère Soémis eurent en main la direction des affaires. La position des chrétiens fut encore meilleure pendant le règne d’Alexandre Sévère, dirigé par sa mère Mammæa.

C’est donc à Julia Domna que remonte l’impulsion première à laquelle obéissent fidèlement, à travers les nuances individuelles qui les distinguent, les princesses de sa famille qui se succèdent jusqu’en 285. Par conséquent on a le droit de chercher l’idée-mère du mouvement religieux qu’elles s’efforcèrent de seconder dans le manifeste que Philostrate de Lemnos lança, conformément aux vœux de Julia Domna, sous le titre de Vie à Apollonius de Tyane, et l’instant est venu de résumer cette étrange histoire.


II

Apollonius naquit à Tyane, ville grecque de Cappadoce, on ne dit pas en quelle année ; mais on peut inférer des autres données du livre que l’époque de sa naissance ne différa guère de celle de la naissance de Jésus-Christ. Sa mère eut, pendant sa grossesse, une sorte d’annonciation : le dieu de la divination et de la science pénétrante, Protée, lui apparut et lui laissa entendre que l’enfant qu’elle