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voués a la nudité perpétuelle et à l’étude des vérités célestes ; mais il les trouve bien inférieurs aux sages des bords du Gange. Évidemment Philostrate en veut à la sagesse des bords du Nil. Ce n’est pas que les gymnosophistes ne soient très forts aussi en fait de prodiges. Ils ont par exemple des arbres intelligens qui, à leur ordre, saluent poliment les passans. Apollonius ne leur en démontre pas moins fort savamment leur infériorité, et si bien, que leur chef Thespésion, tout noir qu’il est comme un corbeau, en rougit de la tête aux pieds. La mythologie égyptienne est aussi l’objet de ses critiques acérées. Il reproche aux Égyptiens leurs idoles grotesques à tête de chien ou d’épervier, comme si l’Inde avait, sous ce rapport, le moindre reproche à faire à l’Égypte.

Après un voyage aux sources du Nil ou plutôt aux grandes cataractes qu’on prenait alors pour les sources réelles du fleuve, on revient de ce terme ultime du monde dans les terres civilisées ; c’est alors que va commencer ce qu’on peut appeler la passion d’Apollonius. Domitien règne, second Néron, dépassant même son prototype en méchanceté. Apollonius parcourt l’empire, semant partout l’esprit de la rébellion contre le monstre couronné. Il prépare de loin une conspiration dans Rome même en faveur du vertueux Nerva, dont il prévoit l’élévation prochaine. Domitien averti envoie l’ordre de le faire arrêter, lorsque le philosophe sans peur, prenant les devans, fait spontanément son apparition dans Rome en dépit de ses disciples et de Damis lui-même, qui le conjuraient de n’y pas aller. Il y retrouve une vieille connaissance, Élien, préfet du prétoire, qui fait ce qu’il peut pour le protéger contre la fureur du tyran, et lui apprend qu’il devra surtout se défendre contre l’accusation d’avoir coupé en morceaux un jeune enfant dans une opération magique, accusation d’autant plus noire qu’Apollonius ne cessait d’attaquer la coutume des sacrifices sanglans. Jeté en prison, le sage console et conseille ses compagnons de captivité. Il comparaît devant l’empereur, qui tient à interroger lui-même son adversaire, et comme la conversation ne tourne pas précisément à l’avantage du despote, Domitien fait d’Apollonius une sorte d’ecce homo, ordonnant qu’on lui rase la barbe et les cheveux, et qu’il soit couvert de chaînes au milieu des plus vils scélérats. C’est très bénévolement du reste qu’Apollonius endure ce traitement ignominieux, car, profitant d’un moment où il est seul avec Damis, il lui montre qu’il ne tient qu’à lui de faire tomber ses fers ou d’en rester chargé. « Et Damis comprit alors qu’Apollonius était d’une nature divine et supérieure à la nature humaine. » Dorénavant il ne fera plus d’objection au maître. Celui-ci lui enjoint de quitter Rome, d’aller rejoindre son ami Démétrius à Puteolis (Pouzzoles) et de l’y attendre. Pourtant Domitien vient de le citer de nouveau devant son tribunal. Il l’interroge sur sa