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données de cette biographie étant admises, nous pourrions partager l’admiration sans réserve que voue au sage son historien, nous trouverons que son idéal et le nôtre diffèrent notablement. Apollonius est chaste et tempérant, cela est vrai ; de plus il est animé d’un noble désir de savoir et du désir plus noble encore de faire profiter l’humanité de sa science. Il est ingénieux, disert, et ordinairement sa parole, quand il ne s’embarque pas dans de trop longs discours, a quelque chose de vif, d’original, qui convient à un réformateur populaire ; mais, tout cela constaté et reconnu, quel étrange personnage, et que de fois il est ridicule ! Régénérateur d’une religion qu’il déclare faussée par la sottise et l’ignorance, il est superstitieux à un degré inouï. Il croit aux présages, aux empuses ou lamies, aux éléphans qui lancent les javelots dans les batailles, à la pierre que les aigles mettent dans leurs nids pour éloigner les serpens, aux talismans, que sais-je encore ? On remplirait des pages de toutes les folies qu’il débite avec la gravité d’un révélateur. Si ses disciples l’admirent, leur admiration ne dépasse certes pas celle qu’il professe tout haut pour lui-même. A chaque instant, il pose d’une manière insupportable ; il est tendu, maniéré, artificiel des pieds à la tête. Il se vante à toute occasion ; sa polémique fourmille de bravades. C’est le don Quichotte de la perfection religieuse et morale ; Damis est son Sancho Pança, car ce dernier, malgré le plaisir qu’il trouve à suivre comme son ombre ce preux paladin de la vérité, a pour spécialité d’opposer aux théories éthérées de son maître le langage d’un grossier bon sens et même les exigences d’un robuste appétit. Lorsque Apollonius éprouve le besoin de lancer quelque sentence de haute volée, il a coutume d’adresser à Damis quelque question épineuse que celui-ci croit résoudre en disant une balourdise, ce qui fournit à l’incomparable sage l’occasion de faire montre de son écrasante supériorité, et Damis, qui est bon enfant, de rire de sa propre bêtise. Dans ses longs discours, Apollonius devient décidément d’un pédantisme intolérable, et telle est sa manie de tout traiter en rhéteur qu’il s’écoute parler plus qu’il ne s’écoute penser : il lui arrive maintes fois d’oublier en discourant la sévérité morale dont il fait profession. Ne va-t-il pas dans un de ses grands sermons jusqu’à innocenter le parjure ?

Toutes ces critiques tombent sur l’Apollonius de Philostrate, car, préalablement à toute discussion sur l’authenticité du personnage et de son histoire, nous pouvons poser en fait que le narrateur a prêté énormément à son héros ; mais en définitive il a voulu nous décrire un idéal de perfection humaine. Philostrate était homme d’esprit, quoique rhéteur ampoulé. Le cercle dont il faisait partie, et en vue duquel il écrivait, comptait dans ses rangs les hommes les plus éminens de l’empire. Il paraît que ces défauts, si saillans