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le méprisent, cet homme qui dédaigne toute dissimulation, non pas à cause de la pureté de ses intentions, mais parce qu’il est sûr d’atteindre son but même après avoir révélé ses moyens, cet homme veut être ministre, et l’on entend des gens raisonnables adopter cette idée. Ce qui l’arrête, c’est qu’il ne se sent pas de force à renverser M. Necker, et il sait bien que ce ministre ne restera pas en place avec lui. Le gouvernement se flatte de le gagner, mais c’est un ouvrage qu’il faudrait recommencer tous les jours et presque toutes les heures, car son imagination mobile n’est fixée par aucun principe : il ne connaît pas même la fidélité de la corruption. Personne ne peut deviner ce qu’il dira ni ce qu’il fera. »


À Mirabeau est lié dans l’assemblée le célèbre évêque d’Autun. « Homme d’esprit, dit le baron de Staël, apte aux affaires, il se nuit par son ambition ; mais il est trop intelligent d’ailleurs pour vouloir entrer dans ce ministère, où M. Necker serait trop difficile à remplacer. » L’évêque d’Autun lui-même est lié politiquement avec l’abbé Sieyès, « le plus profond logicien systématique, et plus fait pour être lu qu’entendu. Incapable d’intrigue, il s’est rendu célèbre par le courage avec lequel il a montré à l’assemblée son profond mépris pour ses délibérations et pour ses membres. »

Le baron de Staël n’accorde aussi que le nom de cabale au quatrième parti, et il sert plus que jamais d’organe aux idées et aux sentimens de M. Necker lorsqu’il désigne et juge sévèrement Duport, Barnave et les Lameth. Cette cabale n’a de talens à ses yeux que pour nuire. « Ses membres, sous prétexte d’assurer la constitution, soufflent la révolte à Paris et dans les provinces, veulent effrayer le gouvernement pour le supplanter, et ne conserveraient M. Necker, à cause de son crédit et de sa popularité, que pour l’avilir. » Duport est « un ambitieux sans moyens, frondeur enthousiaste, sans caractère et sans discernement, parlant sans cesse de liberté et ne songeant qu’à parvenir au ministère. » Barnave, qui comptait d’abord entre les amis de Mounier, « las de jouer un rôle subalterne dans le bien, voulut s’en faire un premier dans le mal ; homme d’esprit, de talent et de caractère, il est devenu odieux par la dureté qu’il a montrée lors du massacre de Paris. » Le chevalier Alexandre de Lameth, « jeune, ambitieux et ruiné, d’un caractère indomptable et sans aucun talent supérieur, ne pardonne point aux autres d’en avoir, et brigue tout ce qui relèverait au-dessus d’eux. » On avait longtemps assigné pour chef à ce parti M. de La Fayette, ajoute M. de Staël, parce que les hommes qui le composent aujourd’hui s’étaient ralliés naguère à lui au nom de la liberté ; il était maintenant sans doute éclairé sur leur compte.


« M. de La Fayette a de grandes qualités, mais sa destinée l’a porté plus haut que sa taille. Pour son malheur, ceux qui l’exaltent le gouvernent, et