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son esprit. On ne s’étonne pas de cette effervescence quand on se rappelle non-seulement quelle était sa vive imagination, mais aussi au milieu de quelles circonstances la révolution française le surprenait. Au mois d’août 1788, nous l’avons vu, une conspiration formée contre lui par une grande partie de la noblesse avait ruiné le succès de sa première campagne contre les Russes. Il s’en était vengé, pendant la diète du commencement de 1789, par un second coup d’état dirigé contre l’aristocratie suédoise. Gustave était donc triomphant malgré ses témérités, lorsque les courriers de France venaient lui apprendre coup sur coup les désastres de Louis XVI. Sa vanité se nourrissait de cette comparaison. Il se vantait, lui, d’avoir sauvé deux fois son peuple de périls qu’il ne craignait pas d’assimiler à ceux de notre pays. S’il eût été à la place de Louis XVI, il aurait, en un tour de main, conjuré tous les dangers : de ce sentiment à une pensée de solidarité entre tous les souverains, au nom de laquelle Gustave allait rêver la gloire de relever et de raffermir le plus beau trône de l’Europe, il n’y avait pas loin, et c’était au milieu de ces réflexions que, se rendant compte parfois de sa propre faiblesse, il se prenait à souhaiter d’avoir pour alliée cette même Catherine II qu’il combattait aujourd’hui. « Si elle était roi de France, s’écriait-il, que de grandes choses nous ferions ensemble ! »

La négociation qu’il offrit à l’impératrice amena d’abord la paix de Verela, signée le 15 août 1790, mais n’aboutit que quatorze mois après au traité définitif. Gustave III n’avait pas même attendu la fin des hostilités pour offrir un refuge à l’émigration française. C’était à ses yeux un insigne honneur pour la Suède et pour lui-même de tendre une main secourable aux petits-fils de Louis XV. Il écrivit en ce sens au comte d’Artois et au prince de Condé, qui avaient quitté la France dès le lendemain de la prise de la Bastille. Le baron de Staël, stupéfait, l’informa, le 1er novembre 1789, que sa lettre au prince de Condé courait Paris et qu’on la lisait publiquement dans les clubs ; mais il ne déplaisait pas à Gustave de se désigner dès lors aux partisans de la révolution comme leur adversaire déclaré. Les réponses qu’il reçut des princes étaient bien de nature à exalter, encore son zèle. Le comte d’Artois lui disait :


« Je ne saurais exprimer à votre majesté la vive sensibilité dont j’ai été pénétré en recevant la lettre que le baron de Rehausen m’a remise de sa part. La générosité et la reconnaissance sont les vertus des grandes âmes, et j’étais bien sûr de les trouver dans celle de votre majesté. En quittant la cour du roi mon grand-père, votre majesté n’a pas tardé à déployer les grandes qualités qui la caractérisent, et qui la rendront toujours digne du grand nom qu’elle porte. Je n’ose ni ne puis me comparer à votre majesté