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Piémontais, Napolitains, Hollandais et Suisses se coudoyaient. On ne pouvait pas dire que chaque pays avait envoyé à cette bizarre exposition les types les plus remarquables de sa race. Presque tous ces hommes avaient quitté leur patrie pour courir après une fortune toujours fugitive. On y trouvait le matelot désillusionné de la mer, le négrier de La Havane ruiné par le typhus destructeur de sa cargaison, l’écumeur de mer ancien compagnon du flibustier Walker, le chercheur d’or échappé d’Hermosillo aux balles qui avaient frappé Raousset-Boulbon, le chasseur de bisons venu des grands lacs, le manufacturier de la Louisiane ruiné par les Yankees. Cette bande d’aventuriers ignorait la discipline : officiers et soldats se grisaient sous la même tente ; les coups de revolver sonnaient souvent le réveil. Quant au costume, si cette troupe eût défilé, clairons en tête, sur les boulevards de Paris, on eût cru assister au passage d’une ancienne bande de truands exhumés du fond de la Cité. Le quartier, situé au bas de la rivière, entouré d’une palissade en bois dur à travers laquelle une charrette attelée aurait pu aisément se faire jour, était un cloaque infect où les hommes ne trouvaient même pas d’abri pendant les pluies de l’hivernage.

En quelques jours, des carabines rayées, des pistolets, des sabres, des effets de campement, furent distribués aux soldats. La route de la Soledad n’était rien moins que sûre, il fallait tenter au plus tôt une sortie pour la dégager ; mais les chevaux manquaient : aucune remonte ne fonctionnait faute de fonds. Il fallait pourtant faire flèche de tout bois et parer aux difficultés. L’alcade de Medellin fut mandé et sommé de trouver les piastres nécessaires, sous la condition qu’elles seraient fidèlement remboursées trois jours après sur la solde de la troupe. L’alcade se retrancha derrière une impuissance absolue ; mais, au moment de rentrer dans sa maison, il s’aperçut que sa porte venait de recevoir une garde d’honneur de dix cavaliers, dont le chef lui remit respectueusement un papier au sceau du commandement. Une heure lui était accordée pour faire ses préparatifs de départ : il lui était octroyé quelques mois de loisirs au fort de Saint-Jean-d’Ulloa, si renommé pour sa salubrité ! Une demi-heure s’était à peine écoulée, que les fonds publics, qu’on savait cachés dans sa maison, étaient versés à la caisse de la remonte. Ceci donne la mesure de la bonne volonté que les autorités mexicaines nommées par nous apportaient dans leur service. Trois jours après, l’argent fut rendu, au grand ébahissement de l’alcade, peu habitué à trouver chez les fonctionnaires mexicains une fidélité aussi scrupuleuse en matière de deniers publics.

La difficulté pour se remonter ne consistait pas seulement dans le manque d’argent. Les propriétaires des haciendas ou fermes