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en faisant un bond comme un chat-tigre, un Mexicain richement vêtu de cuir et d’argent, armé d’un revolver. Au même moment, au dehors, entre les deux cases, se passait une scène digne du pinceau de Salvator Rosa. Notre nouvelle recrue, Perez Lorenzo, à la faible lueur d’un rayon de lune, avait reconnu dans la vedette enlevée sous les armes Luis de Léon, sergent de guérilleros, un des assassins de sa femme. Luis de Léon se cachait sous un faux nom. Lorenzo frotta brusquement une allumette et plaça la lumière sous la face du bandit. Le misérable avait cinq pieds huit pouces, et Lorenzo l’avait vite reconnu. Un ancien guérillero converti depuis peu, Joachim Florès, fut toutefois appelé pour constater l’identité de l’assassin. Joachim le réduisit vite au silence en accusant sa propre complicité dans trois meurtres récens commis par Luis de Léon. La lune brillait sous la feuillée, un arbre décharné était voisin : à l’aide d’un nœud coulant, le bandit fut enlevé. Lorenzo regarda longtemps une masse sombre s’agiter en l’air dans les dernières convulsions. Le souvenir de sa femme lui pesait moins : elle était vengée ; le lendemain, il disparut.

Restait l’homme de la crinoline. Deux fantassins le traînèrent devant le colonel Du Pin. Il fut constaté que c’était Julio Cara Rubio, adjoint à l’alcade de Jamapa. Ce chef, doué d’une agilité extraordinaire, glissa comme une anguille entre les mains des soldats. Se faufilant entre les jambes des chevaux, il prit la fuite. Il reçut en passant un coup de sabre et un coup de baïonnette. Deux nouveaux engagés, peu habitués à ce genre d’opérations nocturnes, firent feu sur lui. Il se précipita dans la rivière ; arrivé au fort du courant, affaibli par ses blessures, il fut entraîné et disparut dans un tourbillon. La salle de jeu était à 400 mètres de là. Les coups de fusil des deux maladroits avertirent les joueurs, qui se dispersèrent en toute hâte dans les bois. Le but principal de la sortie était manqué ; mais Pio Quinto eut la vie sauve. La colonne rentrait à cinq heures dix matin à Medellin ; la fête de nuit durait encore. Les invités furent surpris de voir défiler la troupe, qu’ils croyaient endormie dans son quartier.

Plusieurs petites expéditions conduites avec succès eurent encore lieu autour de Medellin. La ville désormais reposait tranquille : les avant-postes étaient respectés, et la sécurité des routes était rétablie dans un rayon de quatre à cinq lieues. Les guérillas avaient compris que le temps des rapines faciles était passé et que la fantasia à coups de fusil autour des faubourgs avait ses dangers. Ils songèrent alors à se réunir pour offrir des centres de résistance plus sérieux. C’était un grand pas vers la pacification du pays, car il était désirable d’avoir affaire à une troupe assez forte pour