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du camp des travailleurs de la Loma avait cru faire acte d’habile politique en traitant avec de grands égards les chefs de guérillas. Il avait été involontairement la première cause de la fameuse attaque du 6 avril 1863. La veille de cette attaque, il recevait à sa table Honorato Dominguez et plusieurs de ses compagnons. On y sablait assez agréablement le champagne. Le lendemain, les convives de la veille profitaient de la courte absence des troupes pour mettre à feu et à sang les chantiers de leur amphitryon.

À cette époque, un changement venait de s’opérer dans le commandement supérieur de Vera-Cruz. Ce cercle important était confié à un officier d’une rare capacité : le colonel Labrousse, homme de guerre qui avait appris son métier dans un long séjour en Afrique[1], notamment à Laghouat, où il avait exercé la première autorité. Le nouveau commandant de Vera-Cruz inaugura bien vite un système d’administration qui, par des mesures énergiquement combinées avec la contre-guérilla placée dans son ressort, ramena la sécurité sur le parcours de la Soledad. Les cachots de Saint-Jean-d’Ulloa regorgèrent de vagabonds, de coupeurs de route, dont les cours militaires avaient constaté les crimes ; les travaux malsains du port firent justice d’un bon nombre de ces misérables. Des fractions désignées de la contre-guérilla faisaient tour à tour sur tous les chemins et les marchés le métier de gendarmerie volante, métier rendu plus facile par l’obligation récemment décrétée du passe-port dûment légalisé chez les officiers français placés à la tête des différens petits centres des terres chaudes.

Le 14 avril, un immense convoi militaire, composé de munitions de guerre et de 4 millions en or destinés aux troupes campées sous Puebla, se mit en route pour la Soledad. On parlait vaguement d’une forte attaque de l’ennemi au Rio-de-Piedras, déjà célèbre par la destruction d’un convoi en 1861. Pas un cavalier ne fut signalé sur les crêtes, et la contre-guérilla, après avoir achevé son parcours d’escorte, rentra sous bois dans la direction de Paso-Narangas (Pas-des-Oranges). Après un léger engagement, on parvint le 16, à la tombée de la nuit, à un vaste carrefour hanté par les bûcherons et les charbonniers. Un cours d’eau était tout près ; les feux de cuisine furent bientôt allumés. La journée de marche avait été accablante : l’étape poudreuse, inondée de lumière, avait fatigué les paupières des marcheurs ; mais la pureté de

  1. Le colonel Labrousse avait le droit de rêver une brillante carrière. Hélas ! quelques mois après, le vomito comptait une victime de plus. La marine et l’armée, pas plus que les services administratifs et financiers, n’oublieront les sables de Sacrificios et le campo-santo de Vera-Cruz, car elles peuvent appeler avec orgueil ces deux campos-santos les champs d’honneur du dévouement et du devoir.