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sentiment : M. Johnson, répondant aux plus intimes inquiétudes des délégués du sud, a pu leur déclarer avec une noble confiance qu’il croyait à leur sincérité, et il a pu, en leur montrant la place que la constitution leur assure, relever leurs espérances. Ce scrupule dans l’accomplissement du devoir, cet appel cordial et généreux adressé à des ennemis de la veille, ces nobles ménagemens pour la dignité d’adversaires vaincus après une lutte si violente, cet effort virilement tenté pour effacer les mauvais souvenirs et réparer les maux passés, sont un exemple de vertu gouvernementale que le monde n’avait point encore contemplé. Celui qui le donne n’est certes point un dynaste de la vieille mode, un de ces personnages que notre sénile Europe, héritière des formules serviles du bas-empire romain, décore du titre de majesté ! C’est un ancien ouvrier, qui savait à peine écrire à vingt ans, dont le vote populaire et un tragique accident ont fait à l’improviste un chef d’état. La vie et la mort de Lincoln et la conduite présente de M. Johnson font grand honneur aux institutions démocratiques et a la forme républicaine. Nous pouvons nous plaindre et nous moquer, nous autres vieux civilisés, des manières grossières et ridicules des Yankees ; mais ils nous montrent des vertus politiques devant lesquelles il n’est personne qui ne soit contraint de s’incliner. Par malheur, l’expérience nous a trop bien appris que dans notre vieille Europe si délicate, et dont toutes les aristocraties, après tout, ne sont recrutées que de parvenus, les belles manières s’acquièrent plus facilement que les vertus politiques.

A mesure que se dessine la politique intérieure de M. Johnson, on comprend mieux que sa politique extérieure ne sera point faite pour donner des inquiétudes à la France et à l’Angleterre. M. Johnson et M. Seward font très raisonnablement passer la politique intérieure avant la politique extérieure, la reconstitution pacifique de l’Union avant les griefs plus ou moins légitimes que leur ont donnés certains gouvernemens étrangers. On peut donc tenir pour certain que le gouvernement américain, livré tout entier à la tâche qu’il s’est assignée, ne troublera point de longtemps notre entreprise mexicaine. Nous faisons des vœux pour que le délai providentiel qui nous est ainsi donné soit mis à profit par notre gouvernement. Il faut espérer que nous aurons tout le temps nécessaire pour retirer nos troupes du Mexique avant que les États-Unis aient la volonté et le pouvoir de mettre en vigueur la doctrine de Monroë, laquelle restera, — qu’on n’ait point d’illusion à cet égard, — un principe essentiel de leur politique étrangère. De même, malgré les clameurs familières à la presse américaine, le gouvernement de l’Union vivra en bonne intelligence avec l’Angleterre tant que sa diplomatie sera dirigée par M. Seward. L’hostilité querelleuse que les Yankees nourrissent contre l’Angleterre ne se trahira que par des incidens secondaires où la responsabilité et l’honneur des gouvernemens des deux pays ne seront point engagés. Le fenianisme est