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un des aspects les plus curieux de l’histoire des idées au XIXe siècle. L’étude en est singulièrement facilitée aujourd’hui. Il y a eu dans ces derniers temps une recrudescence sensible dans la gloire de Goethe et comme une émulation de travaux importans autour de ce grand nom. Les biographies étendues et les commentaires qui abondent de plus en plus en Allemagne, l’histoire ample et copieuse de sa vie et de ses ouvrages, publiée à Londres en 1855 par Lewes, les traductions, les études[1] qui se multiplient en France, les documens de tout genre qui s’y rattachent, tels que conversations, correspondances, les expositions lumineuses que des savans distingués ont consacrées à la partie scientifique de cette œuvre si vaste, tant d’informations exactes et variées mises à notre disposition dans ces derniers temps nous donnent quelque confiance dans le résultat des recherches que nous avons entreprises. On ne peut jamais dire, quand il s’agit d’un écrivain de cet ordre, qu’il ne reste aucune ombre sur sa pensée. Cependant nous n’avons pas désespéré de faire pénétrer la lumière, aussi loin que cela peut être utile et même désirable, sur les sources diverses et le développement de cette philosophie, et nous estimons qu’il y a dans l’œuvre de Goethe une manifestation de pensée assez haute, assez puissante, pour mériter d’être étudiée de près et à part et de prendre sa place à côté des grands systèmes que l’Allemagne a vus se produire depuis soixante ans.


I

Essayons de saisir dans ses origines la philosophie de Goethe. Ses mémoires, ses conversations et ses correspondances nous permettent de rechercher quelles influences il a rencontrées, de quel côté s’est portée d’abord sa vive curiosité, quelles affinités il a ressenties ou quelles antipathies pour les doctrines les plus célèbres. Peut-être alors pourrons-nous résoudre avec quelque assurance cette question si importante pour l’histoire de son esprit : dans quelle mesure ses conceptions sur l’ensemble des choses sont-elles originales ? d’où lui est venue l’impulsion première de sa pensée ? Si l’on excepte un nom, un seul, il semble bien que Goethe doive peu de chose aux philosophes de profession. Il les connaît, il les juge même en quelques traits décisifs ; mais on sent qu’ils n’ont eu qu’une action très indirecte sur le développement de sa pensée. La philosophie pure, abstraite, séparée de l’étude de la nature, lui a

  1. C’est un devoir pour nous de rappeler les remarquables travaux publiés dans la Revue même (livraisons du 1er juin, du 15 août et du 15 octobre 1839) par M. Henri Blaze de Bury, l’un des plus fervens initiés du culte de Goethe.