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l’issue favorable d’accidens très menaçans, les objections de la froide raison ne purent jamais ébranler sa foi en sa propre puissance. Pénétré du sentiment de la grande valeur de l’humanité régénérée par Jésus-Christ et destinée à une heureuse éternité, mais connaissant aussi les besoins divers de l’esprit et du cœur, sentant lui-même s’étendre à l’infini ce désir auquel nous convie en quelque sorte sensiblement le ciel étoile, il esquissa ses Perspectives sur l’éternité, qui durent sembler fort étranges à la plupart de ses contemporains ; mais tous ces efforts, ces désirs, ces entreprises, pesèrent moins dans la balance de l’opinion que le génie physiognomonique dont la nature l’avait doué. Grâce à l’idée pure de l’humanité qu’il portait en lui, à la vivacité et à la délicatesse d’observation qu’il exerça d’abord par instinct, d’une manière superficielle et accidentelle, puis avec réflexion, d’une façon méditée et réglée, Lavater était au plus haut degré en mesure d’apercevoir, de connaître, de distinguer et même d’exprimer les traits caractéristiques des individus. Tous les talens qui reposent sur une disposition naturelle décidée nous semblent avoir quelque chose de magique, parce que nous ne pouvons subordonner à une idée ni ce talent, ni ses effets. Et véritablement la pénétration de Lavater à l’égard des individus passait toute idée ; on s’étonnait à l’entendre parler confidentiellement de tel ou tel : c’était même une chose redoutable de vivre auprès d’un homme qui voyait clairement les limites dans lesquelles il avait plu à la nature de vous enfermer… Il se plaisait à étendre son influence dans une vaste sphère ; il ne se trouvait bien que dans la communauté, au milieu d’une société nombreuse qu’il savait intéresser et instruire avec ce rare talent et ses dons de physionomiste. Ce juste discernement des personnes et des esprits apercevait tout d’abord les dispositions morales de chacun. Il n’en profitait que pour leur perfectionnement. Si un aveu sincère, une question loyale, venaient se joindre à sa divination merveilleuse, il trouvait dans le riche trésor de son expérience intérieure et extérieure une réponse appropriée à chacun et de nature à satisfaire. Avait-il affaire à la présomption et à la vanité, il savait s’y prendre avec beaucoup de calme et d’adresse, car, en paraissant esquiver une discussion compromettante, il présentait tout à coup, comme un bouclier de diamant, une grande vue, une grande idée à laquelle l’adversaire ignorant n’avait pu penser de sa vie, et il savait toutefois tempérer si agréablement la lumière qui en jaillissait, que ces hommes se sentaient instruits et convaincus, du moins en sa présence. Chez plusieurs peut-être, l’impression s’est continuée, car les hommes vains peuvent être bons aussi : il ne s’agit que de détacher par une douce influence la dure écorce qui enveloppe le noyau fécond. — Ce qui lui causait la peine la plus