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à part, Goethe prenait un vif intérêt au système de Lavater, et il fut ému comme le public à la nouvelle de la prochaine arrivée de l’homme célèbre dont les idées étaient devenues le sujet de toutes les conversations, le texte de toutes les controverses. « Notre première entrevue fut cordiale, nous nous embrassâmes avec la plus vive affection. Je le trouvai tel que de nombreux portraits me l’avaient déjà fait connaître. Je voyais devant moi, vivant et agissant, un personnage unique, distingué, tel qu’on n’en a point vu et qu’on s’en verra plus. Lui au contraire, il laissa paraître dans le premier moment, par quelques exclamations singulières, qu’il s’était attendu à me voir autrement. Je lui assurai de mon côté, avec mon réalisme naturel et acquis, que, puisqu’il avait plu à Dieu et à la nature de me faire ainsi, nous devions nous en contenter. » Malgré tout, malgré la confiance de Goethe en lui-même et dans sa nature originale, je suppose qu’il eût été flatté de produire une autre impression. Il avoua lui-même plus tard qu’il avait toujours éprouvé auprès de Lavater une certaine angoisse. « En s’emparant de nos qualités par son art de divination, il devenait dans la conversation le maître de nos pensées. »

L’impression que produisit Lavater en Allemagne fut vive. « Son regard doux et profond, sa bouche expressive et gracieuse et jusqu’au naïf dialecte suisse qu’on entendait à travers son haut allemand, bien d’autres choses encore qui le distinguaient, donnaient à tous ceux auxquels il adressait la parole le calme d’esprit le plus agréable ; son attitude même, un peu penchée en avant, qui tenait à la conformation de sa poitrine, contribuait sensiblement à établir une sorte de niveau entre cet homme supérieur et le reste de la compagnie. » La mystique amie de Goethe, Mlle de Klettenberg, ne fut pas la dernière à fêter l’arrivée du pieux personnage. Ces deux folies douces se comprirent aussitôt. Elle quitta son laboratoire, ses fourneaux et l’espoir de la pierre philosophale pour ces plaisirs d’un ordre supérieur, ces voluptés toutes spirituelles de l’extase en commun. Goethe était le confident, mais un confident bien dissipé, un peu mécréant, tantôt frivole, tantôt sceptique. « Les relations mutuelles de mes deux amis, leurs sentimens l’un pour l’autre, m’étaient connus, non-seulement par leurs entretiens, mais aussi par les confidences qu’ils me faisaient tous deux. Je n’étais parfaitement d’accord ni avec l’un ni avec l’autre, car mon Christ avait aussi emprunté à ma manière de sentir sa figure particulière. Et comme ils ne voulaient nullement me passer le mien, je les tourmentais par toute sorte de paradoxes et d’exagérations, et, s’ils me témoignaient de l’impatience, je m’éloignais avec une plaisanterie, quelquefois avec un raisonnement. En matière de croyance, leur disais-je, l’essentiel, c’est de croire : ce que l’on croit est complétement