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œuvres dont l’Amérique offre tant d’exemples. Devenu membre du congrès, puis sénateur des États-Unis, enfin dictateur du Tennessee et aujourd’hui candidat des républicains à la vice-présidence, il est demeuré toujours l’homme du peuple et l’homme du sud, le représentant de cette classe que les grands planteurs appelaient avec mépris les petits blancs. Quoique enrôlé au service de la politique républicaine, ce n’est ni un abolitioniste, ni un radical, ni même un ancien whig ; c’est un vieux démocrate de l’école du président Jackson, L’abolition de l’esclavage n’est pas pour lui ni pour ses pareils une question de principes, c’est une question d’intérêt social. Comme tous les hommes de sa classe, il tient moins à émanciper les noirs qu’à affranchir les blancs de l’influence aristocratique des grands possesseurs d’esclaves ; mais il ne borne pas son aversion à l’esclavage. Il est encore et surtout l’ennemi de la grande propriété foncière, qu’il dit incompatible avec une vraie démocratie. Il déclare à qui veut l’entendre que le sud ne sera régénéré que le jour où les grandes fortunes territoriales seront détruites, où ces vastes domaines cultivés loin du maître par des troupeaux d’esclaves seront morcelés en petites fermes et occupés par des travailleurs libres qui seront en même temps les maîtres du sol[1]. Bref, le gouverneur Johnson est un révolutionnaire, et je ne m’étonne pas que mes nouveaux amis le maudissent de tout leur cœur. Ils disent que si leur pays demeure courbé sous la tyrannie de Lincoln et de Johnson, ils prendront le parti de s’exiler en Europe. Du reste ils proclament le sud invincible et la cause de l’Union à jamais perdue. Ils souhaitent que Mac-Clellan soit élu pour le triomphe des confédérés ; mais ils se moquent du parti chimérique qui espère encore reconstituer l’Union par la paix : pas de milieu entre l’asservissement du sud par les armes ou son avènement comme nation séparée. Je n’ai pas entendu de plaidoyer plus éloquent pour la politique guerrière du président Lincoln que cette profession de rébellion quand même, poussée, s’il le faut, jusqu’à l’anéantissement.


Louisville, 21 septembre.

Je suis descendu hier dans la caverne pour la seconde et dernière fois. Traversant de nouveau l’espace que j’avais parcouru la

  1. C’est la même idée radicale qui a dicté plus tard au président Johnson, dans son décret d’amnistie, cette exception singulière dont on lui a fait de si grands reproches, et qui refusait le bénéfice du pardon aux possesseurs de plus de 20,000 dollars. Malgré sa tendance bien connue aux lois agraires, le nouveau président a usé modérément des droits de la victoire ; il semble incliner plutôt vers les conservateurs que vers les radicaux.