Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

régenter, d’enlever l’Irlande à l’Angleterre, d’entourer les monarchies du continent de républiques hostiles au principe même de leur gouvernement ! Washington, dans sa lettre d’adieu, recommandait à ses concitoyens de rester étrangers aux guerres européennes : cette neutralité, devenue pour eux une loi, doit au moins être réciproque. Voilà l’esprit de la doctrine Monroë. On en a souvent abusé pour justifier des entreprises coupables, on en a fait depuis quelques années un code de piraterie et d’usurpation. Il y a, je suis le premier à le dire, une infatuation et une morgue irritantes dans cette prétention qu’affichent les Américains d’avoir reçu du ciel en patrimoine toutes les terres qui peuvent tenter leur ambitieuse avidité. La doctrine du président Monroë n’en est pas moins le développement naturel de la politique traditionnelle des États-Unis, de la sage politique de Washington : elle proclame à la fois comme un devoir et comme un droit la neutralité mutuelle des deux continens ; elle ne menace ni le Canada, ni les Antilles, ni le Mexique, — encore moins l’Europe, — mais elle nous interdit de jeter le poids de nos armes dans la balance de la politique américaine.

Les Américains d’ailleurs ressentent notre intervention plus qu’ils ne la redoutent : c’est leur guerre civile qui les inquiète, et non pas notre présence au Mexique. Ne nous ririons-nous pas de leur folie, s’ils avaient la prétention de refaire la carte d’Europe ? Eux aussi, ils se rient de nos efforts pour improviser militairement la prospérité d’un pays moitié dévasté, moitié sauvage. C’est le vice de toutes nos entreprises coloniales : nous voulons toujours commencer par la fin, et imposer une tête étrangère à un corps qui n’est pas formé. Le conquérant des solitudes, le véritable agent civilisateur, ce n’est ni un colonel ni un chef de bureau ; c’est le pionnier qui, avec sa pioche, sa carabine et sa hache, va se planter seul dans le désert et en tirer richesse, au lieu de manger d’avance le gain d’un avenir problématique. Rien n’empêchera ces hommes de pénétrer et de s’établir un à un sur la terre mexicaine. L’Amérique du Nord tout entière doit, dans un bref avenir, appartenir, sinon à leur peuple, au moins à leur race, car ils sont les seuls capables d’y répandre la civilisation et la vie…..

Il y a eu hier soir à Cincinnati un grand meeting unioniste, et les rues sont encore pleines d’immenses bannières presque aussi longues que les maisons sont hautes. Il y en aura un second samedi, où M. Chase, qui renonce décidément à toute candidature, doit parler pour le président Lincoln. Hier, en même temps que les unionistes se réunissaient devant Court-Hall, les démocrates s’assemblaient à Covington, dans le Kentucky, sur l’autre bord de la rivière. Là encore il y eut une sorte d’émeute : il était venu bon