Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/909

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ma promenade me conduit ensuite vers le nord, au-delà du canal, dans les quartiers lointains qu’habitent les Allemands, et qu’ils appellent « l’outre-Rhin ; » c’est en effet une succursale de l’Allemagne : figures, langage et costumes même à l’avenant ; puis je monte par des pentes rapides jusqu’aux sommets qui environnent la ville. La vue qu’on y embrasse est riante et vaste. Cette grande cité avec ses murailles rouges, ses bâtimens et ses tours innombrables, ce cercle de collines couronnées de villas fleuries, ces trois rivières qui serpentent mollement dans la plaine, ces côtes boisées du Kentucky sur l’autre rive, ce mouvement, ces fumées, ce murmure de vie qui s’élève, forment un ensemble riche et gracieux qui rappelle nos plus belles villes d’Europe. On descend de là dans une vallée abrupte, où se groupe autour d’une rivière et d’un canal tout le quartier industriel de la ville. C’est un curieux pêle-mêle de chutes d’eau, de moulins, d’usines en planches, de cheminées fumantes, de machines à vapeur en action. Çà et là je lis sur une muraille en lettres colossales ces deux mots expressifs : Slaughter house (littéralement maison de carnage) ; c’est un de ces grands abattoirs perfectionnés où les troupeaux de porcs entrent vivans par milliers, pour n’en ressortir qu’en barils de viande salée. En face, sur le revers opposé de la vallée, une peuplade de vieilles maisons de bois gravit le flanc escarpé, de la colline. De ce côté s’étendent de grands et beaux jardins où trônent cinq ou six habitations monumentales, maisons de campagne englobées par la ville. C’est là le quartier élégant, le West-End de Cincinnati. Près de la rivière sont les rues commerçantes et leurs édifices de granit surmontés de tours florentines d’un goût médiocre, mais de proportions colossales. L’hôtel seul, avec son dôme, ses terrasses, ses péristyles, ressemble plus à un monument qu’à une auberge.


New-York, 26 septembre.

En sortant de Cincinnati, le chemin traverse les longs faubourgs qui se pressent dans la vallée, puis il tourne au nord et longe quelque temps le cours du Little-Miami, rivière champêtre et pastorale qui coule sous les noyers et les chênes. A Columbus, capitale de l’état d’Ohio, commencent les forêts monotones et les landes sablonneuses qui couvrent ces grands plateaux. A Crestline, arrivés une demi-heure trop tard, nous trouvons le train parti. Il faut passer tout le jour dans une baraque de planches, à l’angle des deux voies. Je suis le seul parmi ces voyageurs flegmatiques qui ait l’air de trouver le temps long ; les autres se couchent sur les bancs, mettent leurs pieds sur la cheminée et fument en silence.