Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/913

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un Irlandais saisit l’occasion d’accuser le despotisme asiatique de la monarchie anglaise. Tous les. peuples du globe écorchent à l’envi la langue de leur patrie nouvelle. Enfin c’est la confusion des langues, et l’on se demande dans cette Babel cosmopolite où sont les Américains. Les trouverons-nous dans ces processions triomphales qui parcourent les rues, tambour et musique en tête ? Je vois des uniformes, des galons, des drapeaux, des canons, de pleines charretées d’orateurs comme nos voitures de carnaval ; mais, hélas ! ce sont des figurans qu’on loue pour endosser les couleurs du ward et promener son drapeau par la ville. Ils figuraient l’autre jour à Union-square parmi les démocrates : ils viennent aujourd’hui avec le même enthousiasme grossir les rangs des républicains.

Cependant de petits meetings démocrates s’organisent dans Broadway ; les processions, en passant, ont été assaillies de pierres. Les têtes commencent à s’échauffer. Tout à coup un mouvement se fait dans la foule ; la pétarade redouble et s’augmente du bruit du tambour et des instrumens à vent. Les délégués des wards débouchent au pas militaire, en longues colonnes, précédés de leurs chefs, suivis de leurs canons et de leurs chariots illuminés, couverts d’orateurs. Ceux-ci commencent à déblatérer ; les injures à Mac-Clellan retentissent à tous les échos. Quelques peace men protestent, interrompent à grands cris : « A bas les nègres ! — you damned scoundrels ! — it is a damned nigger warr[1]. » Cependant le canon tonne, la multitude rugit, la musique souffle à grand orchestre : c’est au milieu de ce vacarme que les speakers hurlans, écumans de fureur et de fatigue, essaient encore de se faire entendre. Un orateur de l’antiquité se faisait rappeler par un joueur de flûte à la mesure et à l’harmonie ; que penser d’une éloquence qui prend le ton de la canonnade ?

On dit que le grand meeting de la semaine dernière était bien autrement significatif et solennel. Non-seulement la ville entière y était venue, mais aussi les mac-clellanites, les liltte-mackerels (comme les appellent certains journaux mal élevés) de tout le voisinage, et jusqu’à des députations de la campagne. Union-square contenait à peine la multitude encombrée. L’excitement fut tel qu’un des canons ayant éclaté par malheur et fait quelques trouées dans la foule, on emporta les blessés sans aucun signe de trouble, sans même interrompre une minute les hurrahs et les cris de joie. La manifestation des républicains est plus mesquine et fait sentir leur faiblesse ; mais elle fait bien comprendre ce que c’est que la politique à New-York.

  1. « C’est une damnée guerre de nègres. »