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inférieure à celle des agens d’affaires ! » Attaque injurieuse ou défense perfide, l’outrage est le même des deux côtés. Si je vous montrais les Américains peints par eux-mêmes, je vous en ferais un triste tableau. Ils sont tellement endurcis aux soupçons déshonorans, aux insultes brutales, qu’ils les prodiguent et les acceptent tour à tour sans sourciller, comme des boutades inoffensives. Je sais bien que cette crudité démocratique vaut mieux que l’hypocrisie élégante, l’infamie dorée qui se cache sous un lambeau d’honneur faux et frelaté ; mais la nature humaine est la même partout, et la sauvegarde la meilleure contre la corruption est encore dans ces conventions et dans ces chimères que les Américains tiennent en trop grand mépris.


1er octobre.

J’ai à vous annoncer une série de victoires. D’abord le général Sheridan, qui grandit tous les jours, a gagné coup sur coup deux batailles brillantes dans la vallée de la Shenandoah. De son côté, l’amiral Farragut a décidément pris Mobile, ou plutôt il s’est emparé de la baie, et sera maître de la ville quand il voudra. Hier enfin, nouvelles de Richmond, — un combat où l’on a pris une quinzaine de canons. Les confédérés ne manqueront pas de s’attribuer la victoire : il est vrai que Grant est plus lent à « assommer la tête de la rébellion » que Sherman à en « couper la queue. »

Je vous parlerais plus souvent de la guerre, si j’étais sûr de vous dire la vérité ; mais dans cette ville de spéculation et de charlatanisme les bruits se répandent et s’évanouissent avec une étourdissante rapidité. C’est dans le quartier des affaires un cliquetis de nouvelles extravagantes, souvent contradictoires, auxquelles les gens sages ont pris, pour leur repos, le parti de ne pas prêter l’oreille. Il ne suffit point, comme à Paris, de rumeurs anodines pour qu’on s’effraie, et les inventeurs américains lancent de bien autres ballons que la mauvaise humeur du sultan, la colique de l’empereur de la Chine, ou le propos guerrier tenu hier en petit comité par tel valet du prince. Lorsqu’on veut émouvoir l’opinion publique ou, plus exactement, le marché des fonds publics, on fait bel et bien écraser le général Grant par le général Lee, ou tomber devant le général Grant les murs de Richmond. Le Mexique est encore, pour les journaux embarrassés de remplir leurs colonnes, une mine inépuisable de nouvelles à sensation (sensation news). J’ouvre le New-York Herald, et je lis ce matin, comme d’usage : « Désastres des Français. — Miramon à la tête d’une révolution républicaine. — Prise de Monterey par les Mexicains. — Première dépêche : Cortinas a battu les Français à Matamoros ; ils se barricadent dans