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parti honnête et modéré. N’en pensez rien : ce n’est qu’un prétexte pour mieux tirailler sur les deux armées en attendant l’occasion de passer au vainqueur, car les républicains ne lui plaisent guère mieux que les démocrates ; Horace Greeley n’est pas moins sa bête noire que Fernando Wood. Il confond dans sa haine le fanatique abolitioniste et le venimeux copperhead, le rebelle infernal et le nègre sempiternel, la « shent per shent convention » de Chicago et la « shoddy convention » de Baltimore. Comment prévoir les évolutions capricieuses de ce bachi-bozouk politique ? Peut-être bien finira-t-il sa fantasque campagne au premier rang de l’armée républicaine. Le Herald est le plus riche, le mieux informé, le plus répandu et l’un des mieux goûtés des journaux américains. Cela suffit pour juger des autres. Ce ne sont, pour la plupart, que des flibustiers à l’enchère, fidèles seulement à leur bourse, bravi passant tour à tour du pape à l’empereur et de l’empereur au pape, tout en guerroyant pour leur propre compte et harcelant à la fois tous les partis pour se faire acheter plus cher leur alliance ou leur neutralité. A part quelques exceptions rares, ils ne prétendent pas, comme chez nous, au rôle d’initiateurs et d’apôtres d’une religion politique ; ce sont tout bonnement des industriels qui spéculent sur les changemens de l’opinion. Tout en tenant la presse à la chaîne, nous gardons une haute idée de son pouvoir ; nous lui infligeons des châtimens et lui rendons des honneurs exagérés ; nous en faisons tour à tour une souveraine et une martyre. La liberté américaine en a fait tout simplement une affiche ; loin de la rendre, comme nous le craignons toujours, arrogante et dictatoriale, elle l’a réduite au rôle de servante et d’instrument matériel de publicité. La presse américaine est assurément celle qui se rapproche le plus de la perfection souhaitée par un de nos plus fameux diseurs de paradoxes. Ce n’est pourtant pas qu’elle soit impuissante pour avoir le droit d’être libre ; loin de là : elle est au contraire l’intermédiaire indispensable sans lequel les partis ne peuvent se former, les opinions se produire et se répandre dans le pays. Supprimez la presse, et vous n’avez plus en Amérique ni organisation des partis, ni contrôle de l’opinion, ni liberté, ni vie politique. Seulement elle n’a pas pour cela le monopole de l’esprit public, elle ne prend pas ces airs d’autocrate et de prophète qui réussissent si bien chez nous. Quand le Herald rappelle avec orgueil qu’il a devancé la voix populaire, il se vante non pas de l’avoir dirigée, mais de l’avoir devinée et suivie d’avance. En un mot, la presse américaine publie, elle n’enseigne pas : toute libre qu’elle est, elle est moins dangereuse, s’il est possible, qu’une presse docile et bâillonnée.

Ce n’est pas, à ce qu’il paraît, l’avis du général Wallace,