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expression de M. Grote, a le premier éveillé les facultés intellectuelles encore endormies de notre nature[1]. »

Mais il ne servirait de rien de le dissimuler, quelle que soit l’ardeur avec laquelle les recherches sont poussées dans tous les sens, l’histoire grecque demeure extrêmement difficile à écrire. La période purement épique et légendaire y est très longue et n’offre trop souvent à la critique en quête de faits réels et certains que l’appui mobile de la fiction. Même quand on aborde des époques plus récentes, on rencontre à chaque pas des obscurités qu’auraient dissipées ou des lacunes qu’auraient comblées d’importans monumens, si le temps ne les avait détruits. Il faut se résigner, par exemple, à ignorer ce qu’on aurait appris en lisant le fameux recueil, aujourd’hui perdu, où Aristote avait rassemblé les constitutions de cent cinquante villes différentes. Et pourtant que devient la physionomie de la Grèce, lorsqu’on en néglige les aspects divers qu’offrait sa vie essentiellement multiple ? On peut se dire, pour se consoler, qu’après tout ce corps aux membres si nombreux eut une tête où vinrent se concentrer les pensées de la nation et un cœur qu’échauffèrent ses plus nobles passions. On peut, afin d’obéir à ce besoin d’unité qui est une des lois les plus impérieuses de l’esprit humain, voir dans Athènes le centre d’une civilisation que cette ville portait à son plus haut point après l’avoir sauvée de la domination des Perses, et dont elle conserva fidèlement les restes jusqu’au ve siècle après Jésus-Christ. Néanmoins cette façon d’arranger et de composer l’histoire grecque, fût-elle d’ailleurs admise comme légitime, ne dispenserait pas la science d’étudier à fond et de retracer exactement les destinées des peuples qu’elle aurait groupés, autour de la cité de Minerve. Et c’est alors que recommenceraient les regrets et les incertitudes ; c’est alors que l’écrivain scrupuleux serait obligé de laisser des blancs dans son récit plutôt que d’y introduire des erreurs et de ne présenter que des conjectures ou des probabilités là où la curiosité du lecteur réclame des assertions précises et des affirmations certaines.

La difficulté est grande encore lorsque, au lieu de suivre les Grecs dans les mouvemens compliqués de leur activité politique, on se propose de déterminer les phases successives de leur génie intellectuel, et de saisir les rapports intimes qui, chez eux, rattachèrent l’inspiration à la pensée, la spontanéité à la réflexion, la poésie, la littérature et les arts à la philosophie. De ce côté encore, les routes se croisent, se mêlent, s’effacent ; le fil conducteur se

  1. Un savant professeur, M. Sadous, publie en ce moment une traduction de l’Histoire de la Grèce de M. Grote. Plusieurs volumes ont déjà paru.