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sédentaire que la religion prescrivait aux femmes. Le bouc, emblème d’une signification fort différente, accompagnait la Vénus populaire, que d’autres artistes se chargèrent de représenter.

Il serait trop long de montrer qu’au même temps Ictinus, Polyclète, Sophocle et leurs plus célébres contemporains s’appliquaient à donner à leurs œuvres ces fortes qualités qui charmaient le cœur sans le troubler ni le corrompre, parce qu’avant de l’atteindre elles éclairaient et satisfaisaient la raison. Ce que l’on sait moins, c’est que les grands penseurs de cette époque s’efforçaient de conserver à la musique elle-même le caractère mâle, sévère, nous dirons volontiers le caractère moral et intellectuel que le génie dorien avait de bonne heure imprimé à cet art. Rien de ce qui pouvait affaiblir les âmes ou les discipliner ne paraissait indifférent à des hommes tels qu’Aristophane, Platon ou Aristote. Ils croyaient, en s’occupant de l’influence de la musique sur les mœurs, traiter une question des plus graves, et ils ne se trompaient pas. D’ailleurs, quelque sensibles que nous soyons aux beautés musicales, les Grecs les ressentaient plus vivement encore. Finement doués comme ils l’étaient, il n’est pas surprenant qu’on redoutât pour eux les effets irrésistibles d’un art dont la puissance est telle que quelques phrases d’un air national suffisent chez les modernes pour attiser le feu des révolutions. Aristophane pensait que la grave musique des aïeux avait contribué à former une jeunesse chaste et vaillante, et préparé les guerriers de Marathon. « Si quelque enfant à l’école, dit-il dans les Nuées, s’avisait de faire quelque bouffonnerie ou de chanter avec les inflexions molles et recherchées introduites par Phrynis, il était frappé et châtié comme un ennemi des muses. » Platon déclare que le mode dorien est la seule et véritable harmonie grecque, née sur le sol grec. Aristote, en traitant dans sa Politique de l’action diverse exercée sur l’âme par les différentes espèces de musique, dit qu’il appartient au seul mode dorien de procurer à l’âme humaine un calme parfait. D’après Héraclide de Pont, l’harmonie dorienne a un aspect viril et magnifique ; elle n’est ni relâchée ni joyeuse ; mais austère et puissante, sans formes variées et raffinées. Il y a donc lieu de conjecturer, sans trop de témérité, que la musique regrettée et recommandée au temps de Périclès s’adressait non à la sensibilité, mais au courage et plutôt encore à l’intelligence. Par là, ainsi que l’a bien compris Ottfried Müller[1], elle offrait les mêmes caractères que tous les arts d’origine et d’inspiration dorienne. De même que l’Athéné de Phidias et que l’architecture du Parthénon, cette musique était un langage qui parlait surtout à la raison.

  1. Die Dorier IV, 6.