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Il fut un moment, moment bien court sans doute, mais aussi admirable que promptement écoulé, où la puissance de la raison était si clairement connue et si justement appréciée que la politique grecque sembla ne demander qu’à elle l’art de gouverner les hommes. Le règne de Périclès, si l’on peut appeler de ce nom une domination qui dura un tiers de siècle sans aucun titre officiel, le règne de Périclès serait exactement défini « le gouvernement de l’intelligence athénienne par elle-même, » car Périclès en fut la plus pure et la plus complète personnification. Athènes supporta longtemps Périclès parce qu’elle se reconnaissait et s’admirait elle-même en lui. Ce n’est pas qu’il se soit jamais abaissé à flatter les passions de ses concitoyens, ou que, pour leur plaire, il ait imité leurs défauts : loin de là, il ne leur offrit dans ses talens et dans sa vie qu’une image agrandie de ce qu’il y avait de meilleur dans leur nature. Il fortifia et enrichit son esprit en liant amitié avec Anaxagore et en écoutant les leçons de ce philosophe, qui enseigna le premier que l’esprit est la cause du mouvement et de l’ordre du monde. Les Athéniens idolâtraient l’éloquence : il voulut être orateur, et il le fut ; mais son éloquence demeura simple, virile, sans artifices de rhéteur, exempte de subtilité sophistique, à peine émue, presque purement rationnelle. Et cependant avec cette parole nue, fière et d’une hauteur quelque peu aristocratique, il dirigeait à son gré les mouvemens d’une démocratie capricieuse et turbulente, parce qu’il la savait intelligente et la prenait pour ainsi dire par son grand côté. Les Athéniens avaient le sentiment de la beauté : il couvrit leur ville de monumens magnifiques dont le seul aspect était aux âmes comme une sorte d’éducation. « Chaque jour, dit Plutarque, il remplissait Athènes de fêtes pompeuses, de banquets, de solennités, et formait les citoyens à des plaisirs qui n’étaient pas sans élégance. » Il fit décréter par le peuple lui-même qu’à la fête des Panathénées il y aurait un prix de musique, et ce prix fut dès lors décerné dans l’Odéon, dont lui-même il avait tracé le plan. Il élevait, il éclairait ce peuple qu’il lui eût été facile de corrompre et que l’on corrompit après lui. Aussi le plus grave des historiens, Thucydide, a-t-il pu dire : « Puissant par la dignité de son caractère et par son intelligence, à l’abri de tout soupçon de vénalité, Périclès restait libre en dirigeant la foule ; il n’était pas mené par elle, mais la menait véritablement. » Périclès fut donc avant tout une grande et forte intelligence : là est le trait saillant de son caractère et le secret de l’ascendant qu’il exerça ; là aussi se trouve l’explication de ses faiblesses, car il était homme, et il en eut. On peut, on doit regretter qu’un tel personnage, qui fut à un si haut point maître de son âme et de celles de ses contemporains, ait rendu les armes à une hétaïre. Périclès l’olympien aima