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cosmopolitisme nouveau et généreux qui venait du cynisme, et qui consistait à proclamer que tous les hommes, pauvres ou riches, libres ou esclaves, Grecs ou barbares, étant avec les dieux comme les membres d’un même corps, animé d’une même âme, ne doivent former qu’une seule république régie par l’unique loi de la justice et de l’amitié. Il est vrai qu’en ce point ils eurent pour auxiliaire le conquérant qui mêlait l’Orient à l’Occident, étendait de tous côtés les frontières du monde grec, et mariait hardiment ses Macédoniens à des filles de la Perse. Il semble que la Grèce ait été trop petite pour le stoïcisme, et que cette puissante philosophie n’ait été vraiment à l’aise que dans le monde agrandi par le génie d’Alexandre et par l’ambition du peuple romain.

Par ce qui précède, on jugera, nous l’espérons, du haut intérêt que présenterait une histoire comparée de la philosophie et des arts dans la Grèce antique. Une telle histoire, M. Gebhart n’a pas eu la prétention de l’écrire dans toute son étendue. Il n’a voulu en donner que quelques chapitres, et il y a déployé de rares qualités. Ce genre nouveau, dont l’auteur des pages admirables sur l’Art français au dix-septième siècle a fourni le vrai modèle, ce genre nouveau est plein de difficultés, surtout en ce qui touche la Grèce. Ceux-là seuls doivent l’aborder qui ont une ample provision de faits rigoureusement prouvés et qui préfèrent des conclusions peu nombreuses, mais sûres, à de vagues et inutiles généralités. Là, comme partout dans l’histoire, la critique virile et féconde est celle qui se résigne à beaucoup ignorer ; mais quoiqu’elle ignore beaucoup, quoiqu’elle s’y résigne et l’avoue, la science récente de la philosophie dans ses rapports avec les arts est déjà en possession de quelques résultats importans. Elle croit notamment, et jusqu’à preuve contraire, que s’il est des temps où l’art, en s’élevant, peut inspirer heureusement le génie philosophique, il en est d’autres où l’honneur et le devoir de la pensée sont de résister courageusement aux entraînemens du goût public. Le philosophe n’est jamais obligé ni forcé de subir son milieu. C’est en échappant au leur, c’est en le défaisant et refaisant jusqu’à un certain point d’après leur idéal, que Socrate, les stoïciens, Descartes et d’autres encore ont donné à l’intelligence humaine ses plus puissantes impulsions.

Charles Lévèque.