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qu’ayant calculé, d’après les lois de l’attraction, le mouvement de l’apogée, il l’a trouvé assez conforme aux observations ; cependant il ne donne pas la méthode, il avoue même qu’elle est peu exacte. Dans la seconde édition, ce passage est remplacé par un autre dans lequel il est encore question du mouvement de l’apogée lunaire, mais déduit cette fois de l’observation. D’Alembert, Clairaut et Euler, qui s’occupaient ensemble et à l’insu les uns des autres de la théorie de la lune, trouvèrent tous trois, par des méthodes différentes, que le mouvement de l’apogée, déterminé par le calcul, est moitié plus lent que les astronomes ne l’ont établi. D’Alembert et Euler donnent leur résultat sans commentaire, Clairaut seul ose y voir une preuve de l’inexactitude de la théorie de Newton. L’illustre Buffon, peu connu alors et trop peu géomètre pour suivre la discussion sur son véritable terrain, s’éleva hardiment contre cette conclusion en se fondant sur cette raison, fort peu géométrique, que, les lois primordiales devant être simples, leur expression ne doit renfermer qu’un seul terme. Il avait raison toutefois, et les trois géomètres, en poussant plus loin leurs calculs et reprenant les termes négligés à tort dans un premier essai, amenèrent la théorie à représenter suffisamment les observations.


II.

D’Alembert, âgé de trente-deux ans et membre des académies de Paris et de Berlin, ne s’était fait connaître que comme géomètre ; il trouvait sous le toit de celle qui lui servait de mère toute la tranquillité nécessaire à ses profondes recherches. Ces années de travail et de douces émotions furent les plus heureuses de sa vie. En se réveillant dans sa petite et pauvre chambre, il songeait, dit-il avec un sentiment de joie, à la recherche commencée la veille et qui allait remplir la matinée, au plaisir qu’il allait goûter le soir au spectacle, et, dans les entr’actes des pièces, au plaisir plus grand encore que lui promettait le travail du lendemain. — Le monde, je veux dire les sociétés brillantes dans lesquelles d’Alembert devait être bientôt recherché et admiré, était alors pour lui sans attrait ; il ne le connaissait ni ne le désirait. Quelques amis dévoués, dont quelques-uns devinrent illustres, formaient sa société habituelle, et le profond géomètre était cité comme le plus gai, le plus plaisant et le plus aimable de tous.

L’un d’eux, écrivain fort oublié aujourd’hui, a mêlé le nom de d’Alembert à l’histoire assez peu intéressante de ses changeantes amours, et le rôle de consolateur sensible et dévoué qu’il lui fait jouer s’accorde trop bien avec d’autres documens irrécusables pour