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d’être en reste de politesse avec ses hôtes, et aussi de trop s’engager avec des voisins qui pour la première fois étaient reçus au château de La Ribaudaie.

— Mesdames, dit M. de Rogariou, cherchant à mettre ma cousine tout à fait à l’aise, avouez que nous vous avons paru, ma nièce et moi, passablement fantastiques !… C’est que nous étions encore sous l’influence de cette paresse, de cet affaissement qui résulte d’une longue traversée et d’un séjour prolongé sous les latitudes tropicales…

— Le fait est que vous aviez l’air un peu sauvage, répondit Mlle Trégoref avec un franc sourire.

— Oh ! reprit M. de Rogariou, ne vous y trompez pas, mademoiselle, la sauvagerie du costume n’est rien : on la fait disparaître à volonté ; mais celle de l’esprit est bien plus sérieuse, bien plus redoutable.

Voyant Mlle Trégoref aux prises avec ce prétendu sauvage de La Marsaulaie, dont la conversation semblait l’intéresser beaucoup, je me crus permis de causer avec la nièce de M. de Rogariou. J’avoue que j’en mourais d’envie ; mais j’avais cru devoir garder le silence et éviter de paraître trop avide de me jeter dans une conversation qui eût bien vite dégénéré en à parte, puisqu’elle avait lieu en espagnol. D’ailleurs doña Flora parlait à Mme Legoyen en termes fort aimables de son château, de son parc, d’elle-même et de sa sœur, et je n’avais garde de l’interrompre. La Panthère noire semblait si bien apprivoisée, que son regard et le son de sa voix n’effrayaient plus personne. Mme Legoyen l’écouta longtemps avec plaisir ; mais lorsqu’elle dut s’éloigner un instant pour faire préparer la collation, je me rapprochai de la jeune créole, et nous nous lançâmes immédiatement dans une de ces causeries à l’espagnole qui ressemblent à des bulles de savon : quand elles sont dissipées dans l’air, il n’en reste rien ; mais tant qu’elles durent, elles tournent à travers l’espace en se colorant de toutes les nuances du prisme. Ces causeries ne sont point toujours aussi futiles qu’elles le paraissent ; souvent il s’y cache, sous des phrases assez frivoles, des accens qui sortent du cœur.

Nous avions repris notre sujet favori, les pays lointains avec leur végétation luxuriante et la vie au grand soleil.

— Ah ! don Alberto, s’écria tout à coup Flora, vous parlez de Lima, que l’on appelle le paradis des femmes ; mais vous ne connaissez pas notre île, celle que l’on a surnommée la Perle des Espagnes !

— Hélas ! non ; j’avais projeté d’aller aux Philippines…

— Eh bien ! accomplissez votre projet. Qui vous en empêche ? Au