Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/1042

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les cruautés exercées en son nom et par ses ordres contre les novateurs en matière religieuse, avait su s’y rendre populaire. Il lui avait suffi pour cela de respecter habituellement les usages du pays, de témoigner à la haute noblesse, qui y possédait une très grande influence, des égards bienveillans, de la traiter dans l’occasion avec une sorte de familiarité noble qui ne portait aucune atteinte à sa dignité et au respect de son gouvernement. Il était né en Flandre, les Flamands le considéraient comme un compatriote ; il passait beaucoup de temps parmi eux, il comprenait leur langue, leurs coutumes. Philippe II au contraire, véritable Castillan, hautain, dédaigneux, ne se plaisait qu’en Espagne, où il ne tarda point à se retirer pour ne plus en sortir. D’un abord difficile et peu attrayant, aussi attaché aux formes qu’à l’essence du despotisme, il devait s’aliéner tôt ou tard une race d’hommes différente à tous égards de la race espagnole. Les efforts persevérans auxquels il se livra pour annuler les états-généraux des Pays-Bas et pour y implanter l’inquisition, qui répugnait plus encore peut-être à l’esprit de liberté de la population tout entière qu’aux opinions religieuses d’une partie de cette population, amenèrent le soulèvement qui lui enleva une si précieuse partie de son patrimoine ; mais il fallut bien du temps pour qu’on se décidât à lui résister autrement que par les voies légales, et même après que la résistance eut pris un caractère plus formel, pendant bien des années encore des concessions faites à propos eussent tout pacifié. La crainte qu’inspirait aux mécontens la puissance formidable de l’Espagne n’était sans doute pas étrangère à l’esprit de conciliation dont ils se montrèrent si longtemps animés, à leurs hésitations, à leurs incertitudes ; mais il y avait encore une autre cause. Les chefs du mouvement, presque tous de la plus haute noblesse, ne désiraient nullement une révolution dont ils n’osaient espérer le succès, et dont, même en ce cas, les conséquences possibles les effrayaient peut-être. C’est très sincèrement qu’en luttant contre les ordres impitoyables de la cour de Madrid ils protestaient de leur fidélité au roi, et la meilleure preuve de leur bonne foi, c’est la confiance avec laquelle la plupart d’entre eux, trompés par de fausses assurances, se livrèrent à la merci d’un tyran qui ne voyait que révolte et trahison dans tout ce qui n’était pas la soumission la plus servile. Plusieurs de ces infortunés, mis à mort comme rebelles, étaient très certainement de fidèles royalistes et même des catholiques zélés. Pas plus qu’Egmont, que Horn et que Montigny, le prince d’Orange, Guillaume le Taciturne, le glorieux fondateur de l’indépendance des Pays-Bas, n’aurait conçu sans une nécessité absolue la pensée de renverser la domination espagnole, qu’il avait fidèlement servie sous Charles-Quint. Comme eux, il s’efforça longtemps de concilier avec sa fidélité envers son souve