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chose, c’est pour la retrouver. De son côté, le véritable esprit synthétique ne néglige pas l’analyse. « Pendant toute ma vie, j’ai suivi la double méthode synthétique et analytique; c’était pour moi comme la systole et la diastole de l’esprit humain, comme une seconde respiration plus intime qui ne saurait s’arrêter, dont le double mouvement se continue toujours. Séparer et unir sont les deux actes nécessaires de l’entendement. On est forcé, qu’on le veuille ou non, d’aller du particulier au général et du général au particulier plus ces fonctions intellectuelles que je compare à l’inspiration et à l’expiration s’exécuteront avec force, plus la vie scientifique du monde sera florissante. »

L’esprit synthétique, étant le sens de l’universel, est par excellence l’instrument des grandes découvertes. « Tout ce que nous appelons invention, découverte, dans le sens élevé, est la mise en pratique, la réalisation remarquable d’un sentiment originel de vérité, qui, longtemps cultivé dans le silence, conduit inopinément, avec la vitesse de l’éclair, à une conception féconde. C’est une révélation qui se développe de l’intérieur à l’extérieur, qui fait pressentir à l’homme sa ressemblance avec la Divinité. C’est une synthèse du monde et de l’esprit qui nous donne la plus délicieuse assurance de l’éternelle harmonie de l’être. » Toute cette théorie de l’invention ou de la découverte repose sur cet aphorisme, empreint d’une sorte d’inspiration platonicienne « Il existe dans la réalité, dans l’objet, une loi inconnue qui répond à une loi inconnue dans le sujet, l’esprit humain. » Le génie consiste à découvrir cette loi cachée dans les profondeurs muettes des choses, et dont il porte en soi la formule encore inaperçue.

Voilà ce que l’Allemagne a nommé le réalisme de Goethe, et ce que lui-même appelle l’empirisme intellectuel. Empirisme sans doute, puisque Goethe ne souffre pas que l’on construise a priori le monde, qui, étant l’épanouissement libre et varié de la vie, ne peut se réduire aux formes étroites d’un système; mais empirisme dirigé par l’intuition, guidé par la plus belle et la plus pure lumière de la raison, essayant de réaliser « cette synthèse du monde et de l’esprit » qui s’accomplit par la conformité d’une grande conception avec la loi des choses; — empirisme singulièrement large, puisqu’il ne se refuse même pas à concevoir un certain idéal qui, pour nous aider à comprendre la réalité, la corrige ou la complète sur certains points (par exemple le type anatomique, vrai sans être réel). La difficulté est de distinguer cet idéal, qui n’est que la perfection de la réalité conçue par l’esprit, des conceptions vaines et pourtant spécieuses des spéculatifs purs. « Il faut une tournure d’esprit particulière, disait Goethe, pour saisir dans son véritable