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mens de sa puissance et de sa gloire légitime. À ce compte, c’est l’intérêt bien entendu de l’Angleterre, son intérêt conforme aux intérêts du monde, que les gouvernemens libres soient plus nombreux et plus forts en Europe que les gouvernemens autocratiques. C’est sur ce point que s’est méprise non peut-être l’intelligence, mais la conduite de lord Palmerston. Avons-nous besoin de rappeler ici les puériles et mesquines tracasseries que lord Palmerston a suscitées à la France en 1840 et 1847 ? La politique de cette époque, vue maintenant à la lumière des événemens qui ont suivi, a de quoi faire hausser les épaules à de véritables hommes d’état anglais. Lord Palmerston n’avait pas cette hauteur d’esprit et cette délicatesse morale qui font la véritable profondeur et la dignité certaine de la politique d’un grand homme d’état. On lui a reporté parfois l’honneur d’actes dont il n’était point le véritable auteur, de la constitution de la Belgique, qui a été bien plus l’œuvre, pour ce qui concerne l’Angleterre, du ferme et grave comte Grey. On a fait le silence sur des velléités imprudentes qui auraient gravement compromis sa réputation et les intérêts de son pays. On assure par exemple qu’il avait été d’avis de reconnaître les états confédérés, et que ce caprice échoua contre la résistance énergique de sir George Lewis, un homme qui avait, lui, de la philosophie et des principes dans la tête, et qui a laissé un vide aujourd’hui cruellement senti en Angleterre. Ce défaut de principes s’aggravait chez lord Palmerston précisément parce qu’il rencontrait en lui un prodigieux entrain pour les affaires et d’extraordinaires facultés d’homme d’action. Lord Palmerston aimait les affaires, il les aimait isolément, l’une après l’autre, et voulait passionnément réussir dans chacune sans trop distinguer les petites des grandes. De là l’importance qu’il donnait souvent aux petites choses et les grosses conséquences qu’il en tirait. De là plus d’une de ses mésaventures en diplomatie. Au surplus il n’avait pas autant d’énergie dans le caractère qu’il avait d’ardeur dans l’action. Il cédait à une résistance inflexible. La France en fit l’épreuve dans la fameuse affaire Pacifico, une de ces tempêtes dans un verre d’eau qu’aimait à souffler l’Éole du foreign office. Quand la France, outrée des licences que lord Palmerston prenait envers la Grèce, rappela son ministre de Londres, il y avait ici des gens qui s’écriaient : Au nom de Dieu, ne nous brouillez pas avec lord Palmerston ! On tint bon, lord Palmerston céda, et il n’y eut point de brouillerie. Cet homme remarquable était en effet plus docile qu’on ne l’a cru sur le continent à la devise de ses armes, flecli non frangi. Il savait plier avec la bonne grâce qui était inséparable de toute sa personne. C’est dans une de ces occasions où il jouait finement le rôle du roseau qu’il nous fut donné de le rencontrer pour la première fois. C’était dans l’hiver de 1847. Quelques mois avant, un ministère whig n’avait pu se former, lord Grey ne voulant pas siéger avec lord Palmerston à cause du trouble que celui-ci avait jeté dans l’alliance anglo-française. Lord Palmerston ne prit point avec une fierté tragique l’exclusion qu’entendait lui donner le grand seigneur whig rébarbatif. Il était