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sa moisson d’ingratitude populaire. Ce parti sort des élections légèrement décimé. Cette besogne électorale achevée, la tâche gouvernementale commence onfin. On va voir si le ministère ira au plus pressé et inaugurera une politique financière vigoureuse ; on va voir si les négociations avec Rome seront reprises. La disgrâce de cour qui a subitement frappé M. de Mérode ne nous afflige ni ne nous surprend. M. de Mérode, il faut le reconnaître, s’était consacré au service du saint-siége avec une chevalerie qui n’est plus guère de mode, mais dont la sincérité et le désintéressement étaient respectables. Il n’avait point recherché l’action politique qu’on lui a vu exercer. Il était au siège de Rome, soignant nos soldats malades, lorsque le pape le choisit pour un de ses camériers. Avant que l’unité italieane fût prononcée, et tandis que la France voulait mettre un terme à l’occupation, lorsque l’on eut l’idée de faire garder le pape à Rome par une petite armée cosmopolite, on fit de M. de Mérode un ministre des armes. Peut-être eût-il été logique de supprimer ce ministère après le malheur de Castelfidardo ; mais l’expérience n’était point achevée : tout en essayant de réorganiser une petite troupe, M. de Mérode poursuivit avec l’impétuosité de son caractère la pensée de galvaniser la vieille abbaye romaine, d’obtenir la correction d’abus séculaires, de simuler la vie d’une cité moderne en prenant des mesures de salubrité publique, en perçant des rues, en construisant des maisons, etc. M. de Mérode, en portant ainsi à sa façon un peu d’esprit occidental, belge ou français, dans la cour de Rome, commettait, sans s’en douter, un crime irrémissible contre la cléricature, la prélature, le sacré collège romains. De quoi se mêlait cet ultramontain, ce Batave, ce barbare ? Pourquoi allait-il troubler dans son goût innocent pour les gemmes l’élégant et discret cardinal Antonelli ? pourquoi ne voulait-il pas que les choses allassent comme elles sont toujours allées ? L’indigénat s’est à la fin révolté contre l’externat. La vieille Rome veut mourir en paix et rester italienne. Nos amis catholiques disent en manière de figure oratoire que Rome appartient, non à l’Italie, mais au catholicisme. On a bien fait voir à M. de Mérode si la Rome ecclésiastique est douée de cet esprit de cosmopolitisme que rêvent pour elle nos innocens ultramontains. Il a bien fallu que le pape, cédant après tout aux siens, relevât M. de Mérode de ses fonctions. La portée de ce petit incident est remarquable en ce sens, qu’il prouve aux plus incrédules l’incapacité radicale du pouvoir des papes à gouverner aux conditions que nos plus fervens catholiques exigent eux-mêmes dans l’ordre des relations civiles.

Ce n’est point à nous qu’il appartient de faire un digne accueil au beau volume de vers que M. Victor Hugo vient de publier ; nous ne voulons ici payer qu’une dette de reconnaissance en donnant à cette œuvre du grand poète nos applaudissemens les plus sympathiques. Le livre s’appelle les Chansons des Rues et des Bois ; on s’en ferait une idée incomplète si l’on s’en tenait à la lecture de quelques pièces détachées. C’est une œuvre qui a son unité, ses proportions voulues, sa large et charmante harmonie. Ja-