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la trouvent trop forte. Plus un peuple est éclairé, mieux il comprend les bienfaits de l’instruction, et plus volontiers il se soumet aux sacrifices que son organisation exige. Une nation ignorante pensera toujours que l’argent employé à l’instruire est une dépense superflue, et il est probable que dans un village où nul ne saurait ni lire ni écrire il ne se trouverait pas une majorité pour voter le salaire d’un maître d’école. Tout le monde sent les besoins du corps, mais tous n’éprouvent pas ceux de l’esprit, parce qu’il faut l’avoir développé déjà pour s’apercevoir de ce qui lui manque. C’est pourquoi en matière d’enseignement l’initiative du pouvoir central est nécessaire dans les pays où le grand nombre est peu éclairé. A défaut d’une impulsion venue d’en haut, le peuple continuerait à vivre dans l’ignorance comme dans son élément naturel.

Si maintenant l’on considère l’organisation de l’enseignement aux États-Unis dans son ensemble, on sera frappé de voir à quel point elle diffère des systèmes en vigueur en Europe. Au lieu de maîtres vieillis dans leurs fonctions, presque partout des jeunes filles de dix-huit à vingt-cinq ans, — le personnel enseignant renouvelé en moyenne tous les cinq ans, — au lieu d’écoles séparées pour les deux sexes, les garçons et les filles réunis dans les mêmes classes, — nulle hiérarchie, nulle action du pouvoir central, — comme ressorts, rien que la discussion publique et la pression de l’opinion, — les dépenses de l’enseignement spécialement, directement et librement votées par ceux-là mêmes qui doivent s’en imposer le sacrifice, — l’instruction supérieure et moyenne abandonnée à l’initiative individuelle, l’instruction primaire au contraire rétribuée généreusement par tous les pouvoirs publics, — l’enseignement de la religion systématiquement exclu du programme, tels sont les traits qui distinguent le système américain, et qui en font le contre-pied de nos institutions d’enseignement. Est-il sur notre continent un pays qui pourrait adopter ce système avec avantage? J’en doute. Pour que le service de l’enseignement ne se désorganise pas au milieu de ces changemens incessans de personnes, il faut que tous les citoyens en comprennent l’importance; mais le principe fondamental sur lequel tout le reste repose devrait être imité partout. Dès leur origine, les états de la Nouvelle-Angleterre ont considéré l’éducation du peuple, ainsi que le demande justement M. Duruy, comme un grand service public, comme une dette de la communauté envers tous ses membres. Instruire, répandre les lumières, telle a été la principale fonction des pouvoirs publics et leur principale dépense, Tandis que d’autres prodiguaient les millions des contribuables pour créer des flottes puissantes, entretenir d’innombrables armées ou embellir des capitales, eux, ils réservaient les leurs pour