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tion des monades, il exposa une très curieuse théorie de la mort et de ce qui la suit. La mort arrive quand, dans un système de monades qui est l’organisme complet, la monade principale, la monade reine, dégage les autres monades, ses anciens sujets, de leur fidèle service. Ce départ, il le considérait, ainsi que la naissance, comme un acte libre de cette monade principale, le chef du chœur. — Toutes les monades sont par essence tellement impérissables que même au moment de la dissolution leur activité n’est ni suspendue, ni perdue ; à ce moment-là même, cette activité se continue. Les anciens rapports au milieu desquels elles vivaient disparaissent, mais sur-le-champ elles entrent dans de nouveaux rapports. Chaque monade va rejoindre les monades de son espèce, là où elles sont, dans l’eau, dans l’air, dans la terre, dans le feu, dans les étoiles, et le penchant secret qui les y conduit renferme en même temps le secret de leur destination future. — Les âmes vulgaires, celles qui n’ont pas développé les élémens de leur être par la liberté et par la pensée, qui n’ont conquis une personnalité durable ni par l’action, ni par l’art, ni par la science, celles qui ne sont remplies que de triviales images et de basses occupations, que celles-là soient saisies à leur sortie du corps humain par des monades d’ordre inférieur, où est le mal ? Elles perdent leur rang et vont se perdre dans la plèbe obscure des mondes ; mais les monades supérieures, si nous voulons faire des conjectures, à quel rôle brillant ne sont-elles pas promises ! « Je ne vois pas vraiment ce qui pourrait empêcher la monade à laquelle nous devons l’apparition de Wieland sur notre planète de pénétrer, sous sa nouvelle forme, les lois suprêmes de cet univers. Le travail assidu, le zèle, l’intelligence avec laquelle elle s’est assimilé tant de siècles de l’histoire de ce monde, la rendent digne de tout. Je ne serais nullement étonné si, dans les siècles, je rencontrais Wieland monade d’un monde, étoile de première. grandeur, éclairant tout ce qui l’entoure d’un jour aimable, répandant tout autour d’elle le rafraîchissement et la joie. Quand on pense à l’éternité de ces âmes, on ne peut accepter pour elles d’autre destination que celle de prendre une part éternelle aux joies des dieux en s’associant à la félicité dont ils jouissent comme forces créatrices. À elles est confiée la naissance perpétuellement nouvelle de toute création[1]. »

Ces âmes immortelles doivent avoir conscience du passé, mais seulement si on entend la conscience d’une façon générale et historique. Les événemens insignifians et purement personnels tombent dans la nuit ; le souvenir n’éclaire que quelques grands mo-

  1. Conversations de Goethe, t. II, p. 347.