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dernier des rois généraux d’Irlande ; l’autre était l’exemplaire du dernier brehon des comtes Desmond. La plupart ont été recueillis en Irlande par le célèbre antiquaire gallois Edward Lhwyd. Tombés entre les mains de sir John Sebright, ils furent donnés par celui-ci à la bibliothèque du Trinity College sur les vives instances d’Edmond Burke, et dans l’espérance qu’un jour ils pourraient être traduits.

Mais s’il faut passer condamnation sur des altérations qu’il est difficile de réparer, et qui probablement touchent à la forme plutôt qu’au fond, il est impossible d’approuver la manière dont on en a usé avec les gloses. Elles ont été prises indifféremment dans tous les manuscrits et jetées pêle-mêle, sans distinction d’origine, de temps ni de lieux. Je veux croire avec le docteur Todd, si compétent en pareille matière, que la plupart de ces gloses sont antérieures au Xe siècle ; je veux admettre avec l’habile directeur de la publication qu’il n’y a pas d’anachronisme à insérer des gloses, même du XVe siècle, quand il s’agit de questions de jurisprudence. Du Ve au Xe siècle cependant l’Irlande a passé par deux phases distinctes : l’une d’élévation et de progrès à partir de l’apostolat de saint Patrick, l’autre de décadence à dater des occupations danoises. Et du Xe au XVe siècle il y a eu certainement des habitudes féodales introduites par les conquérants anglo-saxons, qui, si elles n’ont pas détruit la législation antérieure, ont pu modifier le caractère du pouvoir des chefs. Il serait utile aussi de connaître à quelle date ont été écrites certaines gloses du Senchus, celle par exemple qui fait descendre les Irlandais d’un fils de Feinius, roi de Phénicie, époux de Scotia, fille de Pharaon, d’où viennent, comme de raison, les noms de Feini, de Scotts, et sans doute de Fenians. Généralement ces histoires appartiennent aux époques de décadence ; pour consoler les peuples de leur abaissement, on leur fabrique des généalogies. Il peut se faire, comme le prouve indirectement le texte du Senchus, que celle-ci ait été inventée au moment où l’on écrivait en France la fable de Francus, fils de Priam, et de la lignée de Pharamond. Peut-être est-ce à la même époque, c’est-à-dire au IXe siècle, qu’appartient la glose relative aux combats de Fergus, roi d’Ulster, avec les fées et les monstres marins. Il serait curieux de le savoir. On aurait ainsi la preuve du demi-paganisme qui s’empara de l’Irlande durant les occupations danoises, et l’on saurait que c’est de ce temps que datent toutes ces superstitions populaires qui, dans les campagnes de l’Irlande, se mêlent au souvenir des Danois. Si (comme il était possible de le faire, grâce aux modifications successives de la langue) on avait assigné à chaque glose importante du Senchus une date approximative, on aurait jeté les premiers fondements d’une histoire véridique d’Irlande ; avec le procédé qui a été suivi, tandis