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prince Frédéric, tout en larmes, se jeta dans les bras du roi, et jura d’observer envers lui cette amitié fraternelle que des circonstances regrettables avaient déjà trop souvent troublée. Le duc Charles, se mettant bientôt de la partie, exprima les mêmes sentimens. Gustave III à son tour montra une pareille effusion, et la joie de cette triple embrassade termina fort avant dans la nuit la prétendue opération magique.

Gustave prétendait cependant obtenir des résultats plus effectifs; il se mit donc à opérer lui-même. Il avait disposé dans une chambre isolée de son palais un petit sanctuaire, une armoire avec un crucifix, un encensoir et une paire de flambeaux. Ses travaux ne furent pas heureux. Voici une lettre datée du 25 mai 1781 et signée d’une croix avec ces mots : frater a corona vindiccta (nulle occasion ne paraissait mauvaise pour rappeler le coup d’état qui avait revendiqué ou vengé la couronne suédoise), dans laquelle Gustave III rend compte lui-même de ses pitoyables et vains efforts[1]. Il a commencé l’opération à minuit, dit-il, dans le château de Drottningholm. La chambre était extrêmement froide, bien qu’il y eût fait lui-même du feu trois jours auparavant. Toutefois, à peine la première prière dite et le feu allumé, bien qu’il n’eût conservé d’autre vêtement que sa chemise, il lui survint une sueur abondante. Paroles consacrées, encens, ablutions, pendant plus d’une heure il avait tout accompli et n’avait cependant rien vu ni entendu, si ce n’est une forte annonce dans la cheminée. En revanche, le serviteur qui l’accompagnait souffrait le lendemain d’un violent mal de gorge, conséquence bizarre aux yeux du roi, et sur laquelle il se proposait de méditer. Nous ne donnons pas tout le récit, car ces vulgaires niaiseries répugnent Gustave III en chemise, se livrant à une opération cabalistique, présente à l’histoire un triste spectacle. Nous n’avons pas ici, comme pour les sorcières de Macbeth et les incantations du moyen âge, l’éloignement du temps et des mœurs pour nous faire illusion. Il était cependant utile de montrer jusqu’où s’égaraient alors les intelligences, chez ceux-là mêmes qui étaient appelés à jouer un grand rôle.

Si les maîtres qui l’entouraient n’étaient pas suffisamment habiles, Gustave espérait trouver au dehors de meilleures sources d’instruction. Pendant un de ses voyages en Allemagne, il invoqua les enseignemens d’un franc-maçon renommé, Zinnendorf. Celui-ci commença par exiger une confession entière, et Gustave s’accusa d’avoir partagé les doctrines des encyclopédistes il s’en repentait maintenant, et attendait de la science nouvelle toute lumière.

  1. D’autres lettres maçonniques adressées à Gustave III sont signées de formules encore plus énigmatiques : eques a corona murali, frater de sanguine puro, le père Gardien, etc.