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tu auras été reçu dans un monde meilleur. La Suède retournera ensuite a son ancienne faiblesse; les divisions seront plus grandes que jamais. Le frère combattra le frère; mais alors un homme de ta race s’élèvera qui fera revivre ton nom, sans t’égaler toutefois en science ni en puissance. Le sang et la guerre viendront, mais après ta mort. Et tu dois vivre encore cinquante ans et plus, car tu es mon élu; en toi, j’ai mis la sagesse. Tu seras un autre Salomon sur la terre. Les esprits te serviront, et tu seras leur seigneur, et les anges seront prêts à t’assister<ref> Voyez les Souvenirs du colonel Schinkel, t. III, p. 329. </<ref> »


Telles étaient les inepties coupables que le duc de Sudermanie écoutait avec une maligne béatitude. Il en faisait dresser procès-verbal, et c’est ainsi que tous ces incroyables témoignages nous sont arrivés. On a le procès-verbal, dûment paraphé, d’un rêve qui survint à l’heureux prince dans la nuit du 23 au 24 octobre 1786. Son fidèle ami, Reuterholm, très puissant plus tard sous la régence, entrait dans sa chambre vêtu de noir. « Tout est fini, » disait-il, — c’est-à-dire Gustave n’existe plus. Et derrière lui les grands du royaume entraient pour supplier le duc Charles de prendre la régence afin de sauver le pays, et le duc se dévouait!... Le réveil ramenait la réalité présente; mais Charles dictait son rêve et conservait le secret sentiment de sa gloire anticipée.

On pense bien qu’un tel prince avait salué avec reconnaissance les grâces nouvelles que le magnétisme, récemment importé en Suède, lui offrait. Voici, pour n’en pas citer un plus grand nombre, deux de ces séances prophétiques où se montrait à découvert l’esprit de dénigrement et de révolte qui couvait autour de Gustave III. Ce ne sont plus les voyans qui rendent des oracles suspects, c’est le duc lui-même qui parle et qui dévoile ses préoccupations de chaque jour, ses basses menées, ses perfides espérances. La première séance est du 28 février 1789. On se trouvait alors en présence de la diète pendant laquelle le roi, enivré de quelques succès au dehors, exaspéré des dispositions factieuses de l’armée et de la noblesse, allait accomplir un nouveau coup d’état. Profitant des fautes de son frère, le prince Charles, dont la conduite avait été déjà suspecte en plusieurs circonstances, s’efforça encore ici d’isoler lâchement le roi et de le précipiter plus vite vers le danger qu’il se créait à lui-même. Ne se bornant plus à de vaines prédictions, mais empruntant le voile hypocrite d’une vaine extase, il donnait en réalité le mot d’ordre à ses créatures, avec des prescriptions très précises. Il procédait en vrai chef de parti. Dans la soirée du 28 février 1789, en présence de la duchesse de Sudermanie et des barons de Geer, Charles Bonde et Reuterholm, un certain colonel