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viendra le sauveur de la Suède. Quant au baron Reuterholm, sa mission est de rester à côté du prince, de prier pour lui, afin qu’il ne s’éloigne pas de la lumière, et de veiller à ce que personne de son entourage ne prétende interpréter les révélations de ses heures d’extase. Le baron seul doit lui servir d’organe. Il a été aussi question du roi; ce qui a été dit concernant sa majesté est d’un grand intérêt, mais de telle nature que je n’ose le confier à la plume. »


Quand on pense aux devoirs qui obligeaient encore M. de Staël envers Gustave III, quand on se rappelle qu’il devait tout au roi de Suède et à la reine de France, on le blâme de s’être engagé dans ces témérités, qui servaient de prétextes soit aux ennemis personnels du roi son maître, soit aux ennemis déclarés de toute royauté. Ce qu’il a pu faire de concessions sincères au mysticisme aveugle de son temps fait d’ailleurs un étrange contraste avec la fermeté d’esprit que Mme de Staël opposait à ces aberrations, comme sa connivence à l’égard de la convention nationale contraste avec la noble conduite de sa femme envers la reine en 1793.

Que l’illuminisme eût fait d’ailleurs cause commune avec la démocratie, nous l’avons déjà montré. De ces sociétés secrètes qui s’étaient répandues dans les divers états de l’Europe, quelques-unes dépassaient le but en déclarant la guerre à toutes les institutions politiques et civiles, d’autres poursuivaient obstinément l’établissement des institutions républicaines; toutes s’inspiraient d’un esprit de libéralisme très opposé aux entreprises nouvelles que la royauté ou la contre-révolution pouvait rêver. En Suède particulièrement, l’ébranlement général des esprits avait profité à la propagande démocratique. C’est un étrange spectacle de voir comment la prédication révolutionnaire s’accommodait aux conditions spéciales que lui offrait le caractère des peuples du nord de l’Europe. Tandis que l’essor de la France affectait les formes d’un terrible développement logique ne s’arrêtant devant aucune crainte ni aucun souvenir, la Suède mêlait ses rêveries mystiques aux nouveaux principes qui l’envahissaient. Nulle part peut-être les doctrines nouvelles ne furent vantées avec une plus vive exaltation. La vaste Finlande, qui avait entendu au milieu de ses forêts et de ses lacs les échos de Jean-Jacques, de Raynal et d’Helvétius, eut bientôt ses clubs et ses sociétés secrètes. En Suède même, le mélange bizarre du mysticisme et de la politique se répandit jusque dans les déclamations de la presse quotidienne, pour leur donner trop souvent un caractère de sauvage violence.


« L’édifice de la république universelle qu’il s’agit de construire (s’écrie un célèbre publiciste suédois, Thorild, directeur d’un journal hebdomadaire) a pour but final le bonheur de l’humanité, L’intelligence et l’énergie vertueuse doivent lui servir de bases. A ceux qui excellent par l’intelli-