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cratie, invoquait jusqu’au péril d’une révolution intérieure plutôt que de ne pas obtenir enfin contre lui sa vengeance. On a dit que, de son côté, le roi songeait à prévenir la noblesse en faisant cette révolution lui-même par l’introduction du suffrage universel et du système des deux chambres; ce serait une nouvelle preuve de l’embarras où il se trouvait et de l’incroyable situation qu’il s’était faite. La correspondance de notre chargé d’affaires à Stockholm en donne un curieux tableau avec des traits qu’on ne trouve pas ailleurs


« Il n’y a plus d’argent ici, écrit M. de Gaussen en décembre 1791[1]. Les maisons des princes ne sont pas payées; celle du roi même n’a plus de crédit. La dette de la Suède est énorme. Aussi chacun craint pour son petit avoir plusieurs le réalisent, et font des placemens moins lucratifs, mais plus sûrs; cet état violent ne peut durer. Il faut à Gustave III une diète pour ses finances.

« 23 décembre. — La diète est convoquée, non pas dans Stockholm, mais dans la petite ville de Gefle, afin de rendre difficile aux membres nobles d’y assister. La noblesse s’attend à être maltraitée. Le comte de Brahé a émis l’avis de proposer dès le commencement de la diète l’abolition de toute distinction entre les ordres de l’état, en offrant aux autres de n’en recevoir aucune que sous le seul et glorieux titre de citoyen suédois. Alors se formerait la coalition de tous ceux qui, dans les différens ordres, désapprouvent intérieurement certaines spéculations de Gustave III.

« 6 janvier 1792, Le roi mécontente ici tout le monde. On ne peut sortir de Stockholm sans un passeport. Personne ne doit se rendre à Gefle sans en avoir demandé et obtenu la permission. Des maisons entières étaient déjà louées à Gefle; Gustave III a cassé tous les baux pour prendre les emplacemens à son compte, et se charger lui-même de la distribution. Il a déclaré qu’il avait choisi cette petite ville pour garantir les membres de la diète de ce genre de séductions qu’offre dans la capitale le cercle des femmes, où ils ont trouvé trop de conseils, à son gré, pendant la diète de 1789. Des régimens sont disposés de manière à couper toute communication d’ici à Gefle. La bourgeoisie de Stockholm est furieuse de n’avoir pas la diète; celle de Gefle est irritée parce que le roi lui a ôté son gouverneur, dont il se défie, pour le remplacer pendant la session par un vice-gouverneur à lui. Il espère empêcher beaucoup de nobles de venir au moins à temps, le délai légal entre les lettres de convocation et la réunion même n’ayant pas été observé. Il voudrait faire passer de la sorte ses premières propositions. Il veut que les billets de tout genre qu’il a répandus en Finlande et en Suède soient assimilés aux billets de banque, et que l’état les garantisse et les paie comme les siens propres. On dit de plus qu’il se propose de mettre à contribution les biens de la noblesse, libres jusqu’à ce jour. »


Ainsi préparée, la diète se réunit le 25 janvier 1792, mais pour durer un mois à peine. Le roi n’y dit pas un mot de ses projets

  1. Archives des affaires étrangères à Paris.