Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tieux transformaient en rancune amère et personnelle son mécontentement politique. Quelques desseins égoïstes, comme le vil espoir de quelque agiotage, paraissent bien figurer parmi ses résolutions dernières ; son acte sera toutefois évidemment inspiré par le fanatisme. Anckarström croira préserver son pays d’un redoutable fléau ; la pensée d’une mission supérieure consistant à délivrer la Suède d’un tyran occupera tout son esprit. Peu lui importe ce qui suivra il ne s’inquiète ni d’une meilleure constitution ni des mesures qui préviendraient le retour de semblables maux ; cela n’est pas son affaire, et il n’écoute même pas ceux de ses complices qui délibèrent et prévoient. Ce caractère de fanatisme étroit, mais probablement sincère, est bien marqué dans sa déposition écrite, qu’on a textuellement conservée.


« En 1789 (dit-il), quand les pamphlets insultans contre la noblesse circulaient sans aucun obstacle, la violence exercée par le roi contre les membres de la diète ne devait-elle pas soulever toute âme non glacée par l’égoïsme ? Vint ensuite ce qu’on appela un acte de sûreté, en vertu duquel tout ce qui pouvait gêner la toute-puissance royale fut modifié à son profit. Bien qu’à chaque diète le roi se fît donner de grosses sommes sous divers prétextes en dehors des revenus ordinaires de la couronne, la dette publique s’accrut indéfiniment. Le roi en personne vint à l’assemblée des nobles pour leur arracher le consentement à une durée illimitée des subsides qu’ils avaient votés ; il vint en personne contre sa noblesse, entouré d’une populace qu’il avait enivrée. On l’entendit, cette populace, remplir la place et les rues adjacentes de cris factieux ; on la vit se précipiter, en même temps qu’entrait le roi, dans le palais de l’assemblée, envahir, peu s’en fallut, la salle où siégeait la noblesse. Malgré tout ce menaçant appareil, la majorité répondit par son refus, et cependant le roi soutint que sa proposition avait été acceptée. Plusieurs membres furent emprisonnés sans qu’on sût leur crime. Tout cela avait été précédé d’un acte plus grave encore, c’est-à-dire d’une déclaration de guerre faite sans l’assentiment des états, exigé par la constitution. De tels faits pouvaient-ils ne pas éveiller les plus amers sentimens contre leur auteur chez quiconque gardait en son âme le moindre souvenir de liberté ? Les rois, qui sont de malheureux pécheurs comme les autres hommes, n’ont d’autorité que par la confiance de la nation, et cette confiance n’est à eux qu’aussi longtemps qu’ils en restent dignes par leur respect de la loi et de la liberté.

« Voilà les réflexions qui ont fermé mon cœur. Il s’est endurci quand j’ai vu se multiplier exils et supplices, et toute sorte d’impôts et de subsides, pour subvenir aux dépenses du luxe et des voyages à l’étranger. Ce n’était pas tout une diète fut annoncée trois semaines seulement à l’avance, de telle sorte qu’on eut à peine le temps de faire les élections nécessaires ; elle fut convoquée dans une petite ville éloignée de la capitale, afin qu’il fût difficile d’y venir et d’y rester…

« En présence d’un tel spectacle, je me suis demandé peut-il rester notre roi, l’homme capable de violer le serment qu’il a fait au peuple d’ob-