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mille du roi, parce qu’on se rappelait combien chacun des membres de la maison royale s’était éloigné de lui. On a dit que le page envoyé dans la nuit du 16 mars vers le duc Charles pour lui annoncer le meurtre avait trouvé ce prince habillé en grand costume, l’épée au côté, tout prêt à monter à cheval. Ce qui est certain, c’est que le duc de Sudermanie, complice ou non, — ce point n’a jamais été tout à fait éclairci, — avait singulièrement encouragé les mécontens et les conspirateurs en habituant son entourage et lui-même, par ses vaines expériences de magnétisme et de magie, à l’idée d’une prochaine régence et d’une mort violente dont les décrets d’en haut auraient menacé le roi.

Ainsi tout se réunissait pour que la perte de Gustave III devînt inévitable ressentiment d’une noblesse que le roi de Suède avait cru réduire et qui s’était seulement avilie, passions démagogiques auxquelles cette noblesse même faisait appel craintes superstitieuses enfantées par le renversement de toute doctrine religieuse ou morale, et faiblesse d’un règne qui avait détruit tous les bons effets de sa première inspiration, toute libérale, par l’excès d’un absolutisme imprudent et irréfléchi, par un dangereux oubli de toute sagesse politique, par une ambition de gloire insensée, réduite à n’être plus que le visible expédient d’une politique aux abois.

Lequel des conjurés a invoqué le premier la nécessité du meurtre ? Il serait difficile de le décider. Il semble assuré du moins que l’un d’eux, le jeune comte de Horn, hésita d’abord devant un assassinat et chercha un autre moyen d’accomplir la révolution qu’on souhaitait en se rendant maître pour un temps de la personne du roi. Un soir du mois de janvier 1792, deux hommes erraient mystérieusement dans le parc désert de Haga : c’était le comte de Horn et Anckarström; ils étudiaient les entrées et les issues du château, les sentiers du parc, la direction des routes. Il s’agissait de préparer l’enlèvement du roi, qu’on tiendrait caché jusqu’à ce qu’une révolution fût accomplie. Tout à coup les deux conspirateurs s’arrêtèrent étonnés. A une fenêtre éclairée du château, le roi lui-même se montrait, pâle et soucieux il semblait s’offrir au malheur. Les préparatifs n’étaient pas achevés Horn et Anckarström se retirèrent, puis abandonnèrent ce premier dessein. Deux fois pendant le reste de l’hiver, Anckarström, excité par ses complices, crut pouvoir profiter des bals masqués, pendant lesquels Gustave se mêlait imprudemment à une foule suspecte; deux fois la victime échappa.

La journée du vendredi 16 mars parut offrir enfin toutes les circonstances favorables. Le dernier bal de la saison devait avoir lieu au grand théâtre, et Gustave, qui ne s’était pas rendu aux autres